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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

l’épaule d’un prisonnier ou lui ordonnait de passer derrière. L’individu ainsi choisi était, souvent sans autre interrogatoire, conduit au milieu de la route où il se forma bientôt une colonne supplémentaire… Ceux-là comprenaient bien que leur dernière heure était venue et leur attitude était horriblement intéressante à observer. L’un, blessé, à la chemise saturée de sang, s’assit sur la route, hurlant de douleur… d’autres pleuraient en silence. Deux soldats présumés déserteurs suppliaient les autres prisonniers de dire s’ils les avaient jamais vus dans leurs rangs. Plusieurs souriaient avec défi… Quelle horrible chose que de voir un homme ainsi arraché à ses semblables et massacré sans autre forme de procès… À quelques pas de moi, un officier à cheval désigna au marquis de Galliffet un homme et une femme coupables de je ne sais quelle offense. La femme s’élança hors des rangs, se jeta à genoux et, les bras tendus, implora pitié, protestant de son innocence dans les termes les plus pathétiques. Le général la contempla quelque temps, puis, avec une impassibilité absolue : « Madame, dit-il, j’ai fréquenté tous les théâtres de Paris, ce n’est pas la peine de jouer la comédie… » Je suivis le général, toujours prisonnier mais escorté par deux chasseurs à cheval et je cherchai à me rendre compte de ce qui pouvait le diriger dans ses choix. Je m’aperçus qu’il n’était pas bon d’être sensiblement plus grand, plus petit, plus sale, plus propre, plus vieux ou plus laid que son voisin. Un individu notamment dut à son nez cassé d’être libéré des maux de ce monde… Le général ayant ainsi choisi une centaine de prisonniers, un peloton d’exécution fut formé et la colonne reprit sa marche. Quelques minutes après, nous entendîmes derrière nous des décharges qui durèrent un quart d’heure. C’était l’exécution sommaire de ces malheureux[1] ». Le dimanche 28, Galliffet dit : « Que ceux qui ont des cheveux gris sortent des rangs. » Cent onze captifs s’avancèrent. « Vous, continua Galliffet, vous avez vu juin

  1. Daily News, 8 juin 1871. The Times, 31 mai 1871.