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Page:Lucain, Silius Italicus, Claudien - Œuvres complètes, Nisard.djvu/18

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VIE DE LUCAIN.


campagne séparé d’elle ; cette explication, fût-elle fondée sur un fait exact, n’atténuerait rien. Au reste, l’âme de Lucain fut, comme celle de Sénèque, corrompue par le mélange de deux choses incompatibles, la rigueur dans les opinions philosophiques et le luxe dans la manière de vivre, contradiction d’où ne peuvent sortir, outre des vices réels, que de fausses vertus.

La Pharsale n’a pas été terminée, et le dixième livre finit au milieu d’un récit. Outre ce poëme, Lucain avait composé le Catacausmus Iliacus, poëme écrit en grec probablement ; le Catalogue des Héroïdes, la Lyre d’Hector, Orphée, les Saturnales, dix livres de Silves, une tragédie de Médée, ouvrages de jeunesse auxquels Stace fait allusion dans la septième silve du livre 2, v. 54 et suivants.

Jugement de J.-C. Scaliger sur Lucain, tiré de l’Hypercritique, chap. 4.

« Il y a des érudits, faut-il le dire ? qui ont osé l’égaler (Lucain) à Virgile, montrant moins par de telles inepties la grandeur de ce poète que leur propre impudence. Nous reconnaissons volontiers en Lucain un génie grand ; nous accordons même qu’il y a en lui plus qu’un poète. Du reste, c’était une imagination sans frein, ne se maîtrisant pas, esclave de ses mouvements impétueux, et, à cause de cela, sans mesure, à la fois emportée par son feu et y ajoutant ; bien éloignée de celte médiocrité, don merveilleux et presque divin qui ne se trouve que dans Virgile : de telle .sorte que je dirais, peut-être avec trop de franchise que Lucain me parait quelquefois moins chanter qu’aboyer. »

Montaigne, Essais, liv. II, c. 8.

« Le bon Lucanus estant jugé par ce coquin de PJéron sur les derniers traits de sa vie, comme la plupart du sang fut déjà écoulé par les veines des bras qu’il s’était fait tailler à son médecin pour mourir et que la froideur eut saisi les extrémités de ses membres, et commença à s’approcher des parties vitales, la dernière chose qu’il eut en sa mémoire ce furent aulcuns des vers de son livre de la guerre de Pharsale qu’il récitait ; et mourut ayant cette dernière voix en la bouche. Cela, qu’était-ce qu’un tendre et paternel congé qu’il prenait de ses enfants représentant les adieux et les étroits embrassemens que nous donnons aux nôtres en mourant, et un effet de cette naturelle inclination qui rappelle en notre souvenance, en cette extrémité, les choses que nous avons en les plus chères pendant nostre vie. »

Le même, liv. II. c. 10.

« J’aime aussi Lucain et le pratique volontiers non tant pour son style que pour sa valeur propre et vérité de ses opinions et jugements. »

Voltaire, Essai sur la poésie épique, chap. 4.

« Lucain, génie original, a ouvert une route nouvelle. Il n’a rien imité ; il ne doit à personne ni ses beautés, ni ses défauts, et mérite par cela seul une attention particulière.

La proximité des temps, la notoriété publique de la guerre civile, le siècle éclairé, politique el peu superstitieux où vivaient César et Lucain, la solidité de .son sujet ôiaient à son génie toute liberté d’invention fabuleuse. La grandeur véritable des héros réels, qu’il fallait peindre d’après nature, était une nouvel e difficulté. Les Romains, au temps de César, étaient des personnages bien autrement importants que Sarpéilon, Diomède, Mézeuce et Turnus. La uuerre de Troie élail un jeu d’eiifntsen comparai,son lies guerres civiles de Rome, où les plus grands capilnines et les plus puissants hommes qui aient jamais été se disputaient l’empire de la moitié du monde connu.

Lucain n’a osé s’écarter de l’histoire ; par là il a rendu son poème sec et aride. Il a voulu suppléer au défaut d’invention par la grandeur des sentiments ; mais il a caché trop souvent sa sécheresse sous de l’enlhiie. Ainsi il est arrivé qu’Achille et Enée, qui étaient peu importants par eux-mêmes, sont devenus grands dans Homère el dans Virgile, et que César tt Pompée sont petits quelquefois dans Lucain. Il n’y a dans son poëme aucune description brillante, comme dans Hointre. Il n’a point connu, comme Virgile, l’art de narrer, et de ne rien dire de trop ; il n’a ni son élégance, ni son harmonie. Mais aussi vous trouverez dans la Pliât sa’e des beautés qui ne sont ni dans VJliade ni dans VLuéiile. Au milieu de ses déclarations ampoulées, il y a de ces pensées mâles et hardies, de ces maximes politiques dont Corneille est rempli ; quelques-uns de ses discours ont la majesté de ceux de Tite-Live, et la force de Tacite. Il peint comme Salluste en un mot. Il est grand partout où il ne veut pas cire poêle. Une seule ligne telle que celle-ci, en parlant de César,

Nil actum reputans si quid siipcresset agendum.


vaut bien assurément une description poétique.

Virgile et Homère avaient fort bien fait d’amener les divinités sur la scène. Lucain a fait aussi bien de s’en passer. Jupiter, Junon, Mars, Vénus, étaient des embellissements nécessaires aux actions d’Énée et d’Agamemnon. On savait peu de choses de ces héros fabuleux ; ils étaient ni comme ces vainqueurs des jeux olympiques que Pindare chantait, et dont il n’avait presque rien à dire. Il fallait qu’il se jetât sur les louanges de Castor, de Pollux et d’Hercule. Les faibles commencements de l’empire romain avaient besoin d’être relevés par l’intervention des dieux. Mais César, Pompée, Caton, Labienus vivaient dans un autre siècle qu’Énée : les guerres civiles de Rome étaient trop sérieuses pour ces jeux d’imagi-