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LUCAIN.

deux univers. Seule borne et de l’Europe et de l’Asie, c’est lui qui les sépare, qui traverse leurs frontières, et, dans son cours tortueux, élargit tantôt l’un et tantôt l’autre monde. On prend les armes aux pays où l’Euxin, torrent fougueux, épuisant les ondes méotides, ravit leur gloire aux Colonnes d’Hercule, et ne permet pas à Gadès de recevoir seule l’Océan. Viennent ensuite les nations de l’Essedonie^^1 ; et l’Arimaspe qui relève ses cheveux attachés avec un réseau d’or ; et le brave Arien^^2 ; et le Massagète, qui, dans ses guerres contre le Sarmate, apaise sa longue soif avec le sang du coursier qui accompagne sa fuite ; et le Gelon qui semble avoir des ailes.

Non, jamais, ni quand Cyrus amenait son armée des royaumes de Memnon, ni quand Xerxès comptait ses soldats par les traits dont ils couvraient la plaine, ni quand le vengeur de son frère outragé^^3 faisait gémir la mer pleine de ses galères ; jamais on ne vit tant de rois sous un seul chef : jamais un seul camp n’a rassemblé tant de nations différentes d’habit et discordantes de langage. La fortune n’a été chercher toute cette multitude que pour l’associer à la ruine immense de Pompée, et préparer à ses funérailles une hécatombe digne de lui. Hammon, au front chargé de cornes, ne se lassa pas d’envoyer au combat ses bataillons marmariques^^4 épuisant tout son empire, depuis l’occident de l’aride Lybie jusqu’aux Syrtes parétoniennes^^5, qui s’étendent à l’orient de ses rivages. Comme si les dieux craignaient de ne pas tout accorder ensemble à l’heureux César, Pharsale lui offre l’univers à vaincre d’un seul coup.

À peine le vainqueur a-t-il quitté les murs de Rome tremblante, qu’il entraîne ses légions, et franchit en volant les Alpes nuageuses. Au bruit de sa marche, tous les peuples sont frappés d’épouvante. Marseille la Phocéenne, par une constance étrangère aux Grecs, ose seule, dans le péril, garder la foi jurée, et suivre la justice plutôt que la fortune. Avant tout, cependant, elle s’apprête à fléchir, avec des paroles pacifiques, l’indomptable fureur de cette âme de fer, et sa jeunesse, portant l’olivier de Minerve, marche au-devant de l’ennemi qui s’approche.

« Romains, dit-elle, toujours dans vos guerres du dehors, Marseille a suivi vos destins : chaque siècle en témoigne dans les annales latines. Et maintenant encore, si vous allez chercher des triomphes dans un monde inconnu, disposez de nos bras, toujours dévoués à combattre au-dehors vos ennemis. Mais, si la discorde anime vos coupables légions pour de funestes combats, nous ne pouvons offrir à la guerre civile que des larmes et un asile ; aucune main ne doit toucher à vos blessures sa-

1 Peuples des Palus-Méotides.

2 Peuple de l’île d’Aria.

3 Agamemnon.

4 La Marmarique, région de l’Afrique.

5 Paretonium est séparée des Syrtes par toute la Cyrénaïque.