Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/101

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pas une erreur, ce n’est qu’une simple ignorance. La première erreur où elle tombe est qu’elle juge que la douleur qu’elle sent est dans son œil.

Si, incontinent après qu’on a regardé le soleil, on entre dans un lieu fort obscur les yeux ouverts, cet ébranlement des fibres du nerf optique causé par les rayons du soleil diminue et se change peu à peu. C’est là tout le changement que l’on peut concevoir dans les yeux. Cependant ce n’est pas ce que l’âme aperçoit, mais seulement une lumière blanche et jaune ; et la seconde erreur est qu’elle juge que la lumière qu’elle voit est dans ses yeux ou sur une muraille proche de nous.

Enfin l’agitation des fibres de la rétine diminue toujours et cesse peu à peu ; car lorsqu’un corps a été ébranlé, on n’y doit rien concevoir autre chose qu’une diminution de son mouvement ; mais ce n’est point encore ce que l’âme sent dans ses yeux. Elle voit que la couleur blanche devient orangée, puis se change en rouge, et enfin en bleue. Et la troisième erreur où nous tombons est que nous jugeons qu’il y a dans notre œil ou sur une muraille proche de nous des changements qui diffèrent bien davantage que du plus et du moins, à cause que les couleurs bleue, orangée et rouge que nous voyons diffèrent entre elles bien autrement que du plus et du moins.

Voilà quelques erreurs où nous tombons touchant la lumière et les couleurs ; et ces erreurs nous font encore tomber en beaucoup d’autres, comme nous l’allons expliquer dans les chapitres suivants.


CHAPITRE XVI.
I. Que les erreurs de nos sens nous servent de principes généraux et fort féconds pour tirer de fausses conclusions, lesquelles servent. de principes à leur tour. — II. Origine des différences essentielles. — III. Des formes substantielles. — IV. De quelques autres erreurs de la philosophie de l’école.


I. On a, ce me semble expliqué suffisamment, pour des personnes qui ne sont point préoccupées et qui sont capables de quelque attention d’esprit, en quoi consistent nos sensations et les erreurs générales qui s’y trouvent. Il est maintenant à propos de montrer qu’on s’est servi de ces erreurs générales comme de principes incontestables pour expliquer toutes choses ; qu'on en a tiré une infinité de fausses conséquences qui ont aussi à leur tour servi de principes pour tirer d’autres conséquences, et qu’ainsi on a composé peu à peu ces sciences imaginaires sans corps et sans réalité après lesquelles on court aveuglément, mais qui, semblables à des fan-