Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/138

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plus court que s’íl était vide. Ainsi il tire et remue la partie à laquelle il est attaché, comme on le peut voir expliqué plus au long dans les livres des Passions et de l’Homme de M. Descartes. On ne donne pas cependant cette explication comme parfaitement démontrée dans toutes ses parties. Pour la rendre entièrement évidente. il y a encore plusieurs choses à désirer, desquelles il est presque impossible de s’éclaircir. Mais il est aussi assez inutile de les savoir pour notre sujet ; car, que cette explication soit vraie ou fausse, elle ne laisse pas d’être également utile pour faire connaître la nature des habitudes, parce que si l’âme ne remue point le corps de cette manière, elle le remue nécessairement de quel qu’autre qui lui est assez semblable, pour en tirer les conséquences que nous en tirons.

Mais, afin de suivre notre explication, il faut remarquer que les esprits ne trouvent pas toujours les chemins par où ils doivent passer assez ouverts et assez libres, et que cela fait que nous avons, par exemple, de la difficulté à remuer les doigts avec la vitesse qui est nécessaire pour jouer des instruments de musique, ou les muscles qui servent à la prononciation pour prononcer les mots d’une langue étrangère ; mais que peu à peu les esprits animaux, par leur cours continuel, ouvrent et aplanissent ces chemins, en sorte qu’avec le temps ils n’y trouvent plus de résistance. Or, c’est dans cette facilité que les esprits animaux ont de passer dans les membres de notre corps que consistent les habitudes.

Il est très-facile, selon cette explication, de résoudre une infinité de questions qui regardent les habitudes, comme, par exemple, pourquoi les enfants sont plus capables d’acquérir de nouvelles habitudes que les personnes plus âgées ; pourquoi il est très-difficile de perdre de vieilles habitudes ; pourquoi les hommes, à force de parler, ont acquis une si grande facilité à cela, qu’ils prononcent leurs paroles avec une vitesse incroyable, et même sans y penser, comme il n’arrive que trop souvent à ceux qui disent des prières qu’ils ont accoutumé de faire depuis plusieurs années. Cependant, pour prononcer un seul mot, il faut remuer dans un certain temps et dans un certain ordre plusieurs muscles à la fois, comme ceux de la langue, des lèvres, du gosier et du diaphragme. Mais on pourra, avec un peu de méditation, se satisfaire sur ces questions et sur plusieurs autres très-curieuses et assez utiles ; et il n’est pas nécessaire de s’y arrêter.

Il est visible, par ce que l’on vient de dire, qu’il y a beaucoup de rapport entre la mémoire et les habitudes, et qu’en un sens la mémoire peut passer pour une espèce d’habitude. Car, de même