Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souverain maître dans le silence de ses sens et de ses passions, il est impossible qu’il tombe dans l’erreur[1].

Dieu ne trompe jamais ceux qui l’interrogent par une application sérieuse et par une conversion entière de leur esprit vers lui, quoiqu’il ne leur fasse pas toujours entendre ses réponses ; mais lorsque l’esprit se détournant de Dieu se répand au dehors, qu’il n’interroge que son corps pour s’instruire de la vérité, qu’il n’écoute que ses sens, son imagination et ses passions qui lui parlent sans cesse, il est impossible qu’il ne se trompe. La sagesse et la vérité, la perfection et la félicité ne sont pas des biens que l’on doive, espérer de son corps ; il n’y a que celui-là seul qui est au-dessus de nous et de qui nous avons reçu l’être qui le puisse perfectionner.

C’est ce que saint Augustin nous apprend par ces belles paroles : « La sagesse éternelle, dit-il, est le principe de toutes les créatures capables d’intelligence ; et cette sagesse, demeurant toujours la même, ne cesse jamais de parler à ses créatures dans le plus secret de leur raison, afin qu’elles se tournent vers leur principe : parce qu’il n’y a que la vue de la sagesse éternelle qui donne l’être aux esprits, qui puisse pour ainsi dire les achever et leur donner la dernière perfection dont ils sont capables[2]. »

« Lorsque nous verrons Dieu tel qu’il est, nous serons semblables à lui[3], » dit l’apôtre saint Jean. Nous serons, par cette contemplation de la vérité éternelle, élevés à ce degré de grandeur auquel tendent toutes les créatures spirituelles par la nécessité de leur nature. Mais pendant que nous sommes sur la terre, le poids du corps appesantit l’esprit[4] ; il le retire sans cesse de la présence de son Dieu ou de cette lumière intérieure qui l’éclairé ; il fait des efforts continuels pour fortifier son union avec les objets sensibles ; et il l’oblige de se représenter toutes choses, non selon ce qu’elles sont en elles-mêmes, mais selon le rapport qu’elles ont à la conservation de la vie.

Le corps, selon le Sage, remplit l’esprit d’un si grand nombre de sensations, qu’il devient incapable de connaître les choses les moins cachées[5] ; la vue du corps éblouit et dissipe celle de l’esprit, et il est difficile d’apercevoir nettement quelque vérité par les yeux de l’âme dans le temps que l’on fait usage des yeux du corps pour la connaître. Cela fait voir que ce n’est

  1. Quis enim bene se inspiciens non expertus est tanto se aliquid intellexisse sincerius quanto removere atque subducere intentionem mentis a corporis sensibus potuit ! Aug., De immort. animae, ch. 10.
  2. Principium creaturæ intellectualis est æterna sapientia, quod principium manens in se incommutabiliter nullo modo cessat occulte inspiratione vocationis loqui ei creaturæ cui principium est, ut convertatur ad id ex quo est ; quod aliter formata ac perfecta esse non possit. 1 De Gen. ad litt., ch. 50.
  3. Scimus quoniam cum apparuerit similes ei erimus, quoniam videbimus eum sicut est. Joan. Ep. I, ch. 3, v. 2.
  4. Corpus quod corrumpitur aggravat animam. Sap. 9, 10.
  5. Terrena inhabitatio deprimit sensum multa cogitantem. et difficile æstimamus quæ in terra sunt, et quæ in prospectu sunt invenimus cum labore. Sap. 9, 15.