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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/166

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qu’elle voulait, mais seulement aux choses qui lui sont familières.

De là il faut conclure qu’il est très-avantageux de s’exercer à méditer sur toutes sortes de sujets afin d’acquérir une certaine facilité de penser à ce qu’on veut. Car de même que nous acquérons une grande facilité de remuer les doigts de nos mains en toute manière et avec une très-grande vitesse par le fréquent usage que nous en faisons en jouant des instruments ; ainsi les parties de notre cerveau, dont le mouvement est nécessaire pour imaginer ce que nous voulons, acquièrent par l’usage une certaine facilité à se plier qui fait que l’on imagine les choses que l’on veut avec beaucoup de facilité, de promptitude et même de netteté.

Or, le meilleur moyen d’acquérir cette habitude qui fait la principale différence d’un homme d’esprit d’avec un autre, c’est de s’accoutumer dès sa jeunesse à chercher la vérité des choses même fort difficiles, parce qu’en cet âge les fibres du cerveau sont capables de toutes sortes d’inflexions.

Je ne prétends pas néanmoins que cette facilité se puisse acquérir par ceux qu’on appelle gens d’étude, qui ne s’appliquent qu’à lire sans méditer et sans rechercher par eux-mêmes la résolution des questions avant que de la lire dans les auteurs. Il est assez visible que par cette voie l’on n’acquiert que la facilité de se souvenir des choses qu’on a lues. On remarque tous les jours que ceux qui ont beaucoup de lecture ne peuvent apporter d’attention aux choses nouvelles dont on leur parle, et que la vanité de leur érudition, les portant à en vouloir juger avant que de les concevoir, les fait tomber dans des erreurs grossières dont les autres hommes ne sont pas capables.

Mais quoique le défaut d’attention soit la principale cause de leurs erreurs, il y en a encore une qui leur est particulière ; c’est que trouvant toujours dans leur mémoire une infinité d’espèces confuses, ils en prennent d’abord quel qu’une qu’ils considèrent comme celle dont il est question : et parce que les choses qu’on dit ne lui conviennent pas ils jugent ridiculement qu’on se trompe. Quand on veut leur représenter qu’ils se trompent eux-mêmes et qu’ils ne savent pas seulement l’état de la question, ils s’irritent ; et ne pouvant concevoir ce qu’on leur dit, ils continuent de s’attacher à cette fausse espèce que leur mémoire leur a présentée. Si on leur en montre trop manifestement la fausseté, ils en substituent une seconde et une troisième qu’ils défendent quelquefois contre toute apparence de vérité et même contre leur propre conscience, parce qu’ils n’ont guère de respect ni d’amour pour la vérité et qu’ils ont