Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/177

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CHAPITRE V.
Que les personnes d’étude s’entêtent ordinairement de quelque auteur, de sorte que leur but principal est de savoir ce qu’il a cru, sans se soucier de ce qu’il faut croire.


Il y a encore un défaut de très-grande conséquence dans lequel les gens d’étude tombent ordinairement ; c’est qu’ils s’entêtent de quelque auteur. S’il y a quelque chose de vrai et de bon dans un livre, ils se jettent aussitôt dans l’excès ; tout en est vrai, tout en est bon, tout en est admirable. Ils se plaisent même à admirer ce qu’ils n’entendent pas, et ils veulent que tout le monde l’admire avec eux. Ils tirent gloire des louanges qu’ils donnent à ces auteurs obscurs, parce qu’ils persuadent par là aux autres qu’ils les entendent parfaitement, et cela leur est un sujet de vanité ; ils s’estiment au-dessus des autres hommes, à cause qu’ils croient entendre une impertinence d’un ancien auteur, ou d’un homme qui ne s’entendait peut-être pas lui-même. Combien de savants ont sué pour éclaircir des passages obscurs des philosophes, et même de quelques poëtes de l’antiquité ! et combien y a-t-il encore de beaux esprits qui font leurs délices de la critique d’un mot et du sentiment d’un auteur ! Mais il est à propos d’apporter quelque preuve de ce que je dis.

La question de l’immortalité de l’âme est sans doute une question très-importante, on ne peut trouver à redire que des philosophes fassent tous leurs efforts pour la résoudre ; et quoiqu’ils composent de gros volumes pour prouver d’une manière assez faible une vérité qu’on peut démontrer en peu de mots ou en peu de pages, cependant ils sont excusables. Mais ils sont bien plaisants de se mettre fort en peine pour décider ce qu’Aristote en a cru. Il est, ce me semble, assez inutile à ceux qui vivent présentement de savoir s’il y a jamais eu un homme qui s’appelât Aristote ; si cet homme a écrit les livres qui portent son nom ; s’il entend une telle chose ou une autre dans un tel endroit de ses ouvrages : cela ne peut faire un homme ni plus sage ni plus heureux, mais il est très-important de savoir si ce qu’il dit est vrai ou faux en soi.

Il est donc très-inutile de savoir ce qu’Aristote a cru de l’immortalité de l’àme, quoiqu’il soit très-utile de savoir que l’âme est immortelle. Cependant on ne craint point d’assurer qu’il y a eu plusieurs savants qui se sont mis plus en peine de savoir le sentiment d’Aristote sur ce sujet que la vérité de la chose eu soi, puisqu’il y on à qui ont fait des ouvrages exprès pour expliquer ce que ce