Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/180

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par conséquent il est encore plus inutile de savoir ce que les anciens en ont pensé, et cependant on se met fort en peine pour deviner les sentiments des philosophes sur de semblables sujets. On trouve des livres pleins de ces examens ridicules ; et ce sont ces bagatelles qui ont excité tant de guerres d’érudition. Ces questions vaines et impertinentes, ces généalogies ridicules d’opinions inutiles, sont des sujets importants de critique aux savants. Ils croient avoir droit de mépriser ceux qui méprisent ces sottises, et de traiter d’ignorants ceux qui font gloire de les ignorer. Ils s’imaginent posséder parfaitement l’histoire généalogique des formes substantielles, et le siècle est ingrat s’il ne reconnaît leur mérite. Que ces choses font bien voir la faiblesse et la vanité de l’esprit de l’homme ; et que lorsque ce n’est point la raison qui règle les études, non-seulement les études ne perfectionnent point la raison, mais même qu’elles l’obscurcissent, la corrompent et la pervertissent entièrement.

Il est à propos de remarquer ici que, dans les questions de la foi, ce n’est pas un défaut de chercher ce qu’en a cru par exemple saint Augustin ou un autre père de l’Église, ni même de rechercher si saint Augustin a cru ce que croyaient ceux qui l’ont précédé ; parce que les choses de la foi ne s’apprennent que par la tradition, et que la raison ne peut pas les découvrir. La croyance la plus ancienne étant la plus vraie, il faut tâcher de savoir quelle était celle des anciens ; et cela ne se peut qu’en examinant le sentiment de plusieurs personnes qui se sont suivies en différents temps. Mais les choses qui dépendent de la raison leur sont toutes opposées, et il ne faut pas se mettre en peine de ce qu’en ont cru les anciens pour savoir ce qu’il en faut croire. Cependant je ne sais par quel renversement d’esprit certaines gens s’effarouchent, si l’on parle en philosophie autrement qu’Aristote ; et ne se mettent point en peine, si l’on parle en théologie autrement que l’Évangile, les pères et les conciles. Il me semble que ce sont d’ordinaire ceux qui crient le plus contre les nouveautés de philosophie qu’on doit estimer, qui favorisent et qui défendent même avec plus d’opiniâtreté certaines nouveautés de théologie qu’on doit détester. Car ce n’est point leur langage que l’on n’approuve pas ; tout inconnu qu’il ait été à l’antiquité, l’usage l’autorise ; ce sont les erreurs qu’ils répandent ou qu’ils soutiennent à la faveur de ce langage équivoque et confus.

En matière de théologie on doit aimer l’antiquité parce qu’on doit aimer la vérité, et que la vérité se trouve dans l’antiquité ; il faut que toute curiosité cesse, lorsqu’on tient une fois la vérité.