Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/185

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sitions. Mais ce savant Anglais sait bien relever la science d’Euclide ; et si l’âge le lui eût permis, et qu’il eût continué de la même force, nous aurions présentement douze ou quinze gros volumes sur les seuls éléments de géométrie, qui seraient fort utiles à tous ceux qui veulent apprendre cette science, et qui feront bien de l’honneur à Euclide.

Voilà les desseins bizarres dont la fausse érudition nous rend capables. Cet homme savait du grec, car nous lui avons l’obligation de nous avoir donné en grec les ouvrages de saint Chrysostome. Il avait peut-être lu les anciens géomètres ; il savait historiquement leurs propositions, aussi bien que leur généalogie ; il avait pour l’antiquité tout le respect que l’on doit avoir pour la vérité. Et que produit cette disposition d’esprit ? Un commentaire des définitions de nom, des demandes, des axiomes et des huit première : propositions d’Euclide, beaucoup plus difficile à entendre et à retenir, je ne dis pas que ces propositions qu’il commente, mais que tout ce qu’Euclide a écrit de géométrie.

Il y a bien des gens que la vanité fait parler grec et même quelquefois d’une langue qu’ils n’entendent pas, car les dictionnaires, aussi bien que les tables et les lieux communs, sont d’un grand secours à bien des auteurs ; mais il y a peu de gens qui s’avisent d’entasser leur grec sur un sujet où il est si mal à propos de s’en servir, et c’est ce qui me fait croire que c’est la préoccupation et une estime déréglée pour Euclide qui a formé le dessein de ce livre dans l’imagination de son auteur.

Si cet homme eut fait autant d’usage de sa raison que de sa mémoire, dans une matière où la seule raison doit être employée, ou s’il eût eu autant de respect et d’amour pour la vérité que de vénération pour l’auteur qu’il a commenté, il ya grande apparence qu’ayant employé tant de temps sur un sujet si petit, il serait tombé d’accord que les définitions que donne Euclide de l’angle plan et des lignes parallèles sont défectueuses, et qu’elles n’en expliquent point assez la nature, et que la seconde proposition est impertinente, puisqu’elle ne se peut prouver que par la troisième demande, laquelle on ne devrait pas accorder sitôt que cette seconde proposition, puisqu’en accordant la troisième demande, qui est que l’on puisse décrire de chaque point un cercle de l’intervalle qu’on voudra, on n’accorde pas seulement que l’on tire d’un point une ligne égale à une autre, ce qu’Euclide exécute par de grands détours dans cette seconde proposition, mais on accorde que l’on tire de chaque point un nombre infini de lignes de la longueur que l’on veut.