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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/202

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nent les choses tout autrement qu’elles ne sont, et qu’ils en imaginant même qui ne sont point. Cependant il est évident que les visionnaires des sens et les visionnaires d’imagination ne diffèrent entre eux que du plus et du moins, et que l’on passe souvent de l’état des uns à celui des autres. Ce qui fait qu’on se doit représenter la maladie de l’esprit des derniers par comparaison à celle des premiers, laquelle est plus sensible et fait davantage d’impression sur l’esprit, puisque dans des choses qui ne diffèrent que du plus et du moins, il faut toujours expliquer les moins sensibles par rapport aux plus sensibles.

Le second défaut de ceux qui ont l’imagination forte et vigoureuse, est donc d’être visionnaires d’imagination ou simplement visionnaires ; car on appelle du terme de tous ceux qui sont visionnaires des sens. Voici donc les mauvaises qualités des esprits visionnaires.

Ces esprits sont excessifs en toutes rencontres : ils relèvent les choses basses, ils agrandissent les petites, ils approchent les éloignées. Rien ne leur paraît tel qu’il est. Ils admirent tout, ils se récrient sur tout sans jugement et sans discernement. S’ils sont disposés à la crainte par leur complexion naturelle, je veux dire, si les fibres de leur cerveau étant extrêmement délicates, leurs esprits animaux sont en petite quantité, sans force et sans agitation ; de sorte qu’ils ne puissent communiquer au reste du corps les mouvements nécessaires ; ils s’effraient à la moindre chose, et ils tremblent à la chute d’une feuille. Mais s’ils ont abondance d’esprits et de sang, ce qui est plus ordinaire, ils se repaissent de vaines espérances, et, s’abandonnant à leur imagination féconde en idées, ils bâtissent, comme l’on dit, des châteaux en Espagne avec beaucoup de satisfaction et de joie. Ils sont véhéments dans leurs passions, entètés dans leurs opinions, toujours pleins et très-satisfaits d’eux mêmes. Quand ils se mettent dans la tête de passer pour beaux esprits, et qu’ils s’érigent en auteurs ; car il y a des auteurs de toute espèce, visionnaires et autres ; que d’extravagances, que d’emportements, que de mouvements irréguliers ! ils n’imitent jamais la nature, tout est affecté, tout est forcé, tout est guindé. Ils ne vont que par bonds, ils ne marchent qu’en cadence ; ce ne sont que figures et qu’hyperboles. Lorsqu’ils se veulent mettre dans la piété, et S’y conduire par leur fantaisie, ils entrent entièrement dans l’esprit juif et pharisien. Ils s’arrêtent d’ordinaire à l’écorce, à des cérémonies extérieures et à de petites pratiques, ils s’en occupent tout entiers. Ils deviennent scrupuleux, timides, superstitieux ; Tout est de foi, tout est essentiel chez eux, hormis ce qui est véri-