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XII PRÉFACE

tres que nous ; et quelque fois ils poussent certaines découvertes qu’on a négligées par paresse, on qu’on a abandonnées faute de courage et de force.

C’est dans cette vue de mon utilité particulière et de celle de quelques autres, que je me hasarde à être auteur. Mais, afin que mes espérances ne soient point vaines, je donne cet avis : qu’on ne doit pas se rebuter d’abord, si l’on trouve des choses qui choquent les opinions ordinaires que l’on a crues toute sa vie, et que l’on voit approuvées généralement de tous les hommes et dans tous les siècles. Ce sont les erreurs les plus générales que je tâche principalement de détruire. Si les hommes étaient fort éclairés, l’approbation universelle serait une raison : mais c’est tout le contraire. Que l’on soit donc averti, une fois pour toutes, qu’il n’y a que la raison qui doive présider au jugement de toutes les opinions humaines qui n’ont point de rapport à la foi, de laquelle seule Dieu nous instruit d’une manière toute différente de celle dont il nous découvre les choses naturelles. Que l’on rentre dans soi-même, et que l’on s'approche de la lumière qui y luit incessamment, afin que notre raison soit plus éclairée[1]. Que l’on évite avec soin toutes les sensations trop vives et toutes les émotions de l’âme qui remplissent la capacité de notre faible intelligence ; car le plus petit bruit, le moindre éclat de lumière, dissipe quelquefois la vue de l’esprit. Il est bon d’éviter toutes ces choses, quoiqu’il ne soit pas absolument nécessaire ; et, si en faisant tous ses efforts on ne peut résister aux impressions continuelles que notre corps et les préjugés de notre enfance font sur notre imagination, il est nécessaire de recourir à la prière pour recevoir ce que l’on ne peut avoir par ses propres forces, sans cesser toutefois de résister à ses sens ; car ce doit être l’occupation continuelle de ceux qui, à l’exemple de saint Augustin, ont beaucoup d'amour pour la vérité Nullo modo resistitur corporis sensibus: QUÆ NOBIS SACRATISSIMA DISCIPLINA EST, si per eos inflictis plagis vulneribusque blandimur. Ad. Nebidium Ep. 7.

  1. Qui hoc videre non potest, oret et agat ut posse mereatur nec ad hominem disputatorem pulset, ut quod non legit legat, sed ad Deum salvatorem ut quod non valet valeat Ep. 112, ch. 12.
    Supplexque illi qui lumen mentis accendit attendat, ut intelligat, Cont. Ep. fundam.