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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/233

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tablement qu’ils le sont, et cette croyance se fortifie par les discours qu’on en tient. Que l’on cesse de les punir et qu’on les traite comme des fous ; et l’on verra qu’avec le temps ils ne seront plus sorciers, parce que ceux qui ne le sont que par imagination, qui font certainement le plus grand nombre, reviendront de leurs erreurs.

Il est indubitable que les vrais sorciers méritent la mort, et que ceux même qui ne le sont que par imagination ne doivent pas être réputés comme tout à fait innocents ; puisque pour l’ordinaire ils ne se persuadent être sorciers, que parce qu’ils sont dans une disposition de cœur d’aller au sabbat, et qu’ils se sont frottés de quelque drogue pour venir à bout de leur malheureux dessein. Mais en punissant indifféremment tous ces criminels, la persuasion commune se fortifie, les sorciers par imagination se multiplient, et ainsi une infinité de gens se perdent et se damnent. C’est donc avec raison que plusieurs parlements ne punissent point les sorciers ; il s’en trouve beaucoup moins dans les terres de leur ressort ; et l’envie, la haine et la malice des méchants ne peuvent se servir de ce prétexte pour perdre les innocents.

L’appréhension des loups-garous, ou des hommes transformés en loups, est encore une plaisante vision. Un homme, par un effort déréglé de son imagination, tombe dans cette folie, qu’il croit devenir loup toutes les nuits. Ce dérèglement de son esprit ne manque pas de le disposer à faire toutes les actions que font les loups, ou qu’il a ouï dire qu’ils faisaient. Il sort donc à minuit de sa maison, il court les rues, il se jette sur quelque enfant s’il en rencontre, il le mord et le maltraite ; et le peuple stupide et superstitieux s’imagine qu’en effet ce fanatique devient loup ; parce que ce malheureux le croit lui-même, et qu’il l’a dit en secret à quelques personnes qui n’ont pu le taire.

S’il était facile de former dans le cerveau les traces qui persuadent aux hommes qu’ils sont devenus loups, et si l’on pouvait courir les rues et faire tous les ravages que font ces misérables loups-garous sans avoir le cerveau entièrement bouleversé, comme il est facile d’aller au sabbat dans son lit et sans se réveiller, ces belles histoires de transformations d’hommes en loups ne manqueraient pas de produire leur effet comme celles que l’on fait du sabbat, et nous aurions autant de loups-garous que nous avons de sorciers. Mais la persuasion d’être transformé en loup suppose un bouleversement de cerveau bien plus difficile à produire que celui d’un homme qui croit seulement aller au sabbat, c’est-à-dire qui croit voir la nuit des choses qui ne sont point, et qui, étant ré-