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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/261

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de la manière dont elle les aperçoit, parce qu'elles sont au dedans de l'âme, ou plutôt parce qμ’elles ne sont que l’âme même d’une telle ou telle façon ; de même que la rondeur réelle de quelque corps et son mouvement ne sont que ce corps figuré et transporté d’une telle ou telle façon.

Mais pour les choses qui sont hors de l’âme, nous ne pouvons les apercevoir que par le moyen des idées, supposé que ces choses ne puissent pas lui être intimement unies. Il y en a de deux sortes : de spirituelles et de matérielles. Pour les spirituelles, il y a quelque apparence qu’elles peuvent se découvrir à notre âme sans idées et par elles-mêmes : car encore que l’expérience nous apprenne que nous ne pouvons pas immédiatement et par nous-mêmes déclarer nos pensées les uns aux autres, mais seulement par des paroles ou par d’autres signes sensibles auxquels nous avons attaché nos idées ; on pourrait dire que Dieu l’a ordonné ainsi pour le temps de cette vie seulement, afin d’empêcher les désordres qui arriveraient présentement si les hommes pouvaient se faire entendre comme il Ieur plairait. Mais lorsque la justice et l’ordre régneront, et que nous serons délivrés de la captivité de notre corps, nous pourrons peut-être nous faire entendre par l’union intime de nous-mêmes, ainsi qu'il y a quelque apparence que les anges peuvent faire dans le ciel. De sorte qu’il ne semble pas absolument nécessaire d’admettre des idées pour représenter à l’âme des choses spirituelles, parce qu’il se peut faire qu’on les voie par elles-mêmes, quoique d’une manière fort imparfaite.

Je n’examine pas ici comment deux esprits peuvent s’unir l’un à l’autre, et s’ils peuvent de cette manière se découvrir mutuellement leurs pensées. Je crois cependant qu’il n’y a point de substance purement intelligible que celle de Dieu ; qu’on ne peut rien découvrir avec évidence que dans sa lumière, et que l’union des esprits ne peut les rendre mutuellement visibles. Car, quoique nous soyons tr¿s-unis avec nous-mêmes, nous sommes et nous serons inintelligibles à nous mêmes, jusqu’à ce que nous voyions en Dieu et qu’il nous présente à nous-mêmes l’idée parfaitement intelligible qu’il a de notre être renferme dans le sien. Ainsi, quoiqu’il semble que j’accorde ici que les anges puissent par eux-mêmes manifester les uns aux autres et ce qu’ils sont et ce qu’ils pensent, ce que dans le fond je ne crois pas véritable, j’avertis que ce n’est que parce que je n’en veuœ pas disputer, pourvu que l’on m'abandonne ce qui est incontestable, savoir, qu’on ne peut voir les choses matérielles par elles-mêmes et sans idées[1].

  1. Cet article est en italiques, parce qu’on le peut passer et qu’il est difficile de l’entendre si l’on ne sait ce que je pense de l’âme et de la nature des idées.