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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/265

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sophes attachés à cette opinion, qu’on a cru qu’il était nécessaire d’en dire quelque chose pour les porter à faire réflexion sur leurs pensées.


CHAPITRE III.


Que l’âme n’a point la puissance de produire les idées. Cause de l'erreur où l’on tombe sur ce sujet.


La seconde opinion est de ceux qui croient que nos âmes ont la puissance de produire les idées des choses auxquelles elles veulent penser, et qu’elles sont excitées à les produire par les impressions que les objets font sur le corps, quoique ces impressions ne soient pas des images semblables aux objets qui les causent. Ils prétendent que c’est en cela que l’homme est fait à l'image de Dieu, et qu’il participe à sa puissance ; que de même que Dieu a créé toutes choses de rien, et qu’il peut les anéantir et en créer d’autres toutes nouvelles, qu’ainsi l’homme peut créer et anéantir les idées de toutes les choses qu’il lui plait. Mais on a grand sujet de se défier de toutes ces opinions qui élèvent l’homme ; ce sont d’ordinaire des pensées qui viennent de son fonds vain et superbe, et que le Père des lumières n’a point données.

Cette participation à la puissance de Dieu que les hommes se vantent d’avoir pour se représenter les objets et pour faire plusieurs autres actions particulières, est une participation qui semble tenir quelque chose de l’indépendance, comme on l’explique ordinairement ; mais c’est aussi une participation chimérique que l’ignorance et la vanité des hommes leur a fait imaginer. Ils sont dans une dépendance bien plus grande qu’ils ne pensent de la bonté et de la miséricorde de Dieu ; mais ce n’est pas ici le lieu de l’expliquer. Tàchons seulement de faire voir que les hommes n’ont pas la puissance de former les idées des choses qu’ils aperçoivent.

Personne ne peut douter que les idées ne soient des êtres réels, puisqu’elles ont des propriétés réelles ; que les unes ne diffèrent des autres, et qu’elles ne représentent des choses toutes différentes. On ne peut aussi raisonnablement douter qu’elles ne soient spirituelles et fort différentes des corps qu’elles représentent, et cela semble assez fort pour faire douter si les idées par le moyen desquelles on voit les corps ne sont pas plus nobles que les corps mêmes. En effet, le monde intelligible doit être plus parfait que le monde matériel et terrestre, comme nous le verrons dans la suite. Ainsi, quand on assure que les hommes ont la puissance de se former des idées telles qu’il leur plaît, on se met fort en danger d’assurer que les hommes ont la puissance de faire des êtres plus nobles et plus