Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/276

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par exemple, on ne dit pas que l’on voit l’idée de ce carré qui est unie à l’esprit, mais seulement le carré qui est au dehors.

La seconde raison qui peut faire penser que nous voyons tous les êtres à cause que Dieu veut que ce qui est en lui qui les représente nous soit découvert, et non point parce que nous avons autant d’idées créées avec nous que nous pouvons voir de choses, c’est que cela met les esprits créés dans une entière dépendance de Dieu, et la plus grande qui puisse être ; car cela étant ainsi, non-seulement nous ne saurions rien voir que Dieu ne veuille bien que nous le voyions, mais nous ne saurions rien voir que Dieu même ne nous le fasse voir. Non sumus sufficíentes cogítare alíquid a nobis tanquam ex nobis, sed sufficientía nostra ex Deo est[1]. C’est Dieu même qui éclaire les philosophes dans les connaissances que les hommes ingrats appellent naturelles, quoiqu’elles ne leur viennent que du ciel : Deus enim illis manífestavit[2]. C’est lui qui est proprement la lumière de l’esprit et le père des lumières. Pater luminum[3] : c’est lui qui enseigne la science aux hommes : Qui docet hominem scientiam[4] En un mot, c’est la véritable lumière qui éclaire tous ceux qui viennent en ce monde : Lux vera quæ illumínat omnem homínem venientem in hunc mundum[5]

Car enfin il est assez difficile de comprendre distinctement la dépendance que nos esprits ont de Dieu dans toutes leurs actions particulières, supposé qu’ils aient tout ce que nous connaissons distinctement leur être nécessaire pour agir, ou toutes les idées des choses présentes leur esprit. Et ce mot général et confus de concours, par lequel on prétend expliquer la dépendance que les créatures ont de Dieu, ne réveille dans un esprit attentif aucune idée distincte ; et cependant il est bon que les hommes sachent très-distinctement comment ils ne peuvent rien sans Dieu.

Mais la plus forte de toutes les raisons, c’est la manière dont l’esprit aperçoit toutes choses. Il est constant, et tout le monde le sait par expérience, que lorsque nous voulons penser à quelque chose en particulier, nous jetons d’abord la vue sur tous les êtres, et nous nous appliquons ensuite à la considération de l’objet auquel nous souhaitons de penser. Or il est indubitable que nous ne saurions désirer de voir un objet particulier, que nous ne le voyions déjà, quoique confusément et en général : de sorte que, pouvant désirer de voir tous les êtres, tantôt l’un tantôt l’autre, il est certain que tous les êtres sont présents à notre esprit, et il semble que tous

  1. 1. 2 ad Cor. 3, 5.
  2. Rom. 1, 17.
  3. Jac. 1, 17.
  4. Ps. 93, 10.
  5. Joann. 1, 11.