Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/30

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II. Mais, cependant, lorsque les choses que nous considérons sont dans une entière évidence, il nous semble que ce n’est plus volontairement que nous y consentons ; de sorte que nous sommes portés à croire que ce n’est point notre volonté, mais notre entendement qui en juge.

Afin de reconnaître notre erreur, il faut savoir que les choses que nous considérons ne nous paraissent entièrement évidentes, que lorsque l’entendement en a examiné tous les côtés et tous les rapports nécessaires pour en juger ; d’où il arrive que la volonté ne pouvant rien vouloir sans connaissance, elle ne peut plus agir dans l’entendement, c’est-à-dire qu’elle ne peut plus désirer qu’il représente quelque chose de nouveau dans son objet, parce qu’il en a déjà considéré tous les côtés qui ont rapport à la question que l’on veut décider. Elle est donc obligée de se reposer dans ce qu’il a déjà représenté, et de cesser de l’agiter et de l’appliquer à des considérations inutiles ; et c’est ce repos qui, est proprement ce qu’on appelle jugement et raisonnement. Ainsi ce repos ou ce jugement n’étant pas libre, quand les choses sont dans la dernière évidence, il nous semble aussi qu’il n’est pas volontaire. »

Mais tant qu’il y a quelque chose d’obscur dans le sujet que nous considérons, ou que nous ne sommes pas entièrement assurés que nous ayons découvert tout ce qui est nécessaire pour résoudre la question, comme il arrive presque toujours dans celles qui sont difficiles et qui renferment plusieurs rapports, il nous est libre de ne pas consentir, et la volonté peut encore commander à l’entendement de s’appliquer à quelque chose de nouveau ; ce qui fait que nous ne sommes pas si éloignés de croire que les jugements que nous formons sur ces sujets soient volontaires.

Cependant la plupart des philosophes prétendent que ces jugements mêmes que nous formons sur des choses obscures ne sont pas volontaires, et ils veulent généralement que le consentement à la vérité soit une action de l’entendement, ce qu’ils appellent acquiescement, assensus, à la différence du consentement au bien qu’il attribuent à la volonté, et qu’ils appellent consentement, consensus. Mais voici la cause de leur distinction et de leur erreur.

C’est que dans l’état où nous sommes souvent nous voyons évidemment des vérités sans aucune raison d’en douter, et ainsi la volonté n’est point indifférente dans le consentement qu’elle donne à ces vérités évidentes, comme nous venons d’expliquer ; mais il n’en est pas de même des biens, et nous n’en connaissons aucun sans quelque raison de douter que nous le devions aimer. Nos passions et les inclinations que nous avons naturellement pour les