Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/314

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plusieurs fins moins principales, qui tendent toutes à la conservation des êtres qu’il a créés. Il ne peut avoir d’autre fin principale que lui-même ; parce qu’il ne peut pas errer ou mettre sa dernière fin dans les êtres qui ne renferment pas toute sorte de biens. Mais il peut avoir pour fin moins principale la conservation des êtres créés ; parce que, participant tous de sa bonté, ils sont nécessairement bons, et même très bons selon l’Écriture, valde bona. Ainsi Dieu les aime, et c’est même son amour qui les conserve ; car tous les êtres ne subsistent que parce que Dieu les aime. Diligis omnia quae sunt, dit le Sage, et nihil odisti eorum quae fecisti : nec enim odiens aliquid constituisti et fecisti. Quomodo auteur posset aliquid permanere, nisi tu voluisses ; aut quod a te vocatum non esset conservaretur ? En effet, il n’est pas possible de concevoir que des choses, qui ne plaisent pas à un être infiniment parfait et tout-puissant, subsistent, puisque toutes choses ne subsistent que par sa volonté. Dieu veut donc sa gloire comme sa fin principale et la conservation de ses créatures, mais pour sa gloire.

Les inclinations naturelles des esprits étant certainement des impressions continuelles de la volonté de celui qui les a créés et qui les conserve, il est, ce me semble, nécessaire que ces inclinations soient entièrement semblables à celles de leur créateur et de leur conservateur. Elles ne peuvent donc avoir naturellement d’autre fin principale que sa gloire, ni d’autre fin seconde que leur propre conservation et celle des autres, mais toujours par rapport à celui qui leur donne l’être. Car enfin il me paraît incontestable que Dieu, ne pouvant vouloir que les volontés qu’il crée aiment davantage un moindre bien qu’un plus grand bien, c’est-à-dire qu’elles aiment davantage ce qui est moins aimable que ce qui est plus aimable : il ne peut créer aucune créature sans la tourner vers lui-même et lui commander de l’aimer plus que toutes choses, quoiqu’il puisse la crée libre et avec puissance de se détacher et de se détourner de lui.

III. Comme il n’y a proprement qu’un amour en Dieu, qui est l’amour de lui-même ; et que Dieu ne peut rien aimer que par cet amour, puisque Dieu ne peut rien aimer que par rapport à lui, aussi Dieu n’imprime qu’un amour en nous, qui est l’amour du bien en général ; et nous ne pouvons rien aimer que par cet amour, puisque nous ne pouvons rien aimer qui ne soit ou qui ne paraisse un bien. C’est l’amour du bien en général qui est le principe de tous nos amours particuliers, parce qu’en effet cet amour n’est que notre volonté ; car, comme j’ai déjà dit ailleurs, la volonté n’est autre chose que l’impression continuelle de l’auteur de la nature,