Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/325

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comme inexplorables, et nous pourrions en peu de temps nous délivrer de notre ignorance et de nos erreurs à leur égard.

C’est, par exemple, une vérité incontestable à tout homme qui fait usage de son esprit que la création et l’anéantissement surpassent les forces ordinaires de la nature. Si l’on demeurait donc attentif à cette notion pure de l’esprit et de la raison, on n’admettrait pas avec tant de facilité la création et l’anéantissement d’un nombre infini de nouveaux êtres, comme des formes substantielles, des qualités et des facultés réelles, etc. On chercherait dans les idées distinctes que l’on a de l’étendue, de la figure et du mouvement, la raison des effets naturels ; ce qui n’est pas toujours si difficile qu’on se l’imagine, car toutes les choses de la nature se tiennent et se prouvent les unes les autres.

Les effets du feu, comme ceux des canons et des mines, sont fort surprenants et leur cause est assez cachée. Néanmoins si les hommes, au lieu de s’arrêter aux impressions de leurs sens et à quelques expériences fausses ou trompeuses, s’arrêtaient fortement à cette seule notion de l’esprit pur, qu’il n’est pas possible qu’un corps qui est très-peu agité produise un mouvement violent, puisqu’il n’en peut pas donner plus qu’il n’en a lui-même, il serait facile de cela seul de conclure qu’il y a une matière subtile et invisible, qu’elle est très-agitée, qu’elle est répandue généralement dans tous les corps, et plusieurs autres choses semblables qui nous feraient connaître la nature du feu et qui nous serviraient encore à découvrir d’autres vérités plus cachées.

Car puisqu’il se fait de si grands mouvements dans un canon et dans une mine et que tous les corps visibles qui les environnent ne sont point dans une assez grande agitation pour les produire, c’est une preuve certaine qu’il y en a d’autres invisibles et insensibles qui ont pour le moins autant d’ag|tation que le boulet de canon. mais qui étant très-subtils et très-déliés peuvent tout seuls passer librement et sans rien rompre par les pores du canon avant que le feu y soit, c’est-à-dire, comme on le peut voir expliqué plus au long et avec assez de vraisemblance dans M. Descartes[1], avant qu’ils aient entouré les parties dures et grossières du salpêtre dont la poudre est composée. Mais lorsque le feu y est, c’est-à-dire lorsque ces parties très-subtiles et très-agitées ont environné les parties grossières et solides du salpêtre et leur ont ainsi communiqué leur mouvement très-fort et très-violent, alors il est nécessaire que tout crève, parce que les pores du canon, qui laissaient des passages libres de tous côtés aux parties subtiles dont nous parlons lors-

  1. Principes.