Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/353

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aux gens d’étude, et que de condamner sans discernement toutes les nouveautés.

On ne doit donc point trouver à redire si je parle contre le gouvernement de la république des lettres, et si je tâche de montrer que souvent ces grands hommes qui font l’admiration des autres pour leur profonde érudition ne sont dans le fond que des hommes vaíns et superbes, sans jugement et sans aucune véritable science. Je suis obligé d’en parler de cette sorte afin qu’on ne se rende pas aveuglément à leurs décisions et qu’on ne suive pas leurs erreurs.

III. Les preuves de leur vanité, de leur peu de jugement et de leur ignorance se tirent manifestement de leurs ouvrages, car si l’on prend la peine de les examiner avec dessein d’en juger selon les lumières du sens commun, et sans préoccupation d’estime pour ces auteurs, on trouvera que la plupart des desseins de leurs études sont des desseins qu’une vanité peu judicieuse a formés, et que leur principal but n’est pas de perfectionner leur raison et encore moins de bien régler les mouvements de leur cœur, mais seulement d’étourdir les autres et de paraître plus savants qu’eux.

C’est dans cette vue qu’ils ne traitent, comme nous avons déjà dit, que des sujets rares et extraordinaires, et qu’ils ne s’expliquent que par des termes rares et extraordinaires, et qu’ils ne citent que des auteurs rares et extraordinaires. Ils ne s’expliquent guère en leur langue, elle est trop commune ; ni avec un latin simple, net et facile : ce n’est pas pour se faire entendre qu’ils parlent, mais pour parler et pour se faire admirer. Ils s’appliquent rarement à des sujets qui peuvent servir à la conduite de la vie, cela leur semble trop commun ; ce qu’ils cherchent n’est pas d’être utile aux autres ni à eux-mêmes, c’est seulement d’être estimés savants : ils n’apportent point de raisons des choses qu’ils avancent, ou ce sont des raisons mystérieuses et incompréhensibles que ni eux ni personne ne conçoit avec évidence ; ils n’ont point de raisons claires ; mais s’ils en avaient, ils ne les diraient pas. Ces raisons ne surprennent point l’esprit, elles semblent trop simples et trop communes, tout le monde en est capable. Ils apportent plutôt des autorités pour prouver, ou pour faire semblant de prouver leurs pensées, car souvent les autorités dont ils se servent ne prouvent rien par le sens qu’elles contiennent ; elles ne prouvent que parce que c’est du grec ou de l’arabe. Mais il est peut-être à propos de parler de leurs citations, cela fera connaître eq quelque manière la disposition de leur esprit.

Il est, ce me semble, évident qu’il n’y a que la fausse érudition et l’esprit de polymathie qui ait pu rendre les citations à la mode comme