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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/358

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le plaisir n’est point un bien, et que la douleur n’est point un mal ; qu’on peut être heureux au milieu des douleurs les plus violentes, et qu’on peut être malheureux au milieu des plus grands plaisirs. Comme ces philosophes sont fort pathétiques et fort imaginatifs, ils enlèvent bientôt les esprits faibles et qui se laissent aller à l’impression que ceux qui leur parlent produisent en eux ; car les stoïques sont un peu visionnaires, et les visionnaires sont véhéments ; ainsi ils impriment facilement dans les autres les faux sentiments dont ils sont prévenus. Mais comme il n’y a point de conviction contre l’expérience et contre notre sentiment intérieur, toutes ces raisons pompeuses et magnifiques, qui étourdissent et éblouissent l’imagination des hommes, s’évanouissent avec tout leur éclat aussitôt que l’âme est touchée de quelque plaisir ou de quelque douleur sensible ; et ceux qui ont mis toute leur confiance dans cette fausse persuasion de leur esprit se trouvent sans sagesse et sans force à la moindre attaque du vice ; ils sentent qu’ils ont été trompés et qu’ils sont vaincus.

I. Si les philosophes ne peuvent donner à leurs disciples la force de vaincre leurs passions, du moins ne doivent-ils pas les séduire ni leur persuader qu’ils n’ont point d’ennemis à combattre. Il faut dire les choses comme elles sont : le plaisir est toujours un bien, et la douleur toujours un mal ; mais il n’est pas toujours avantageux de jouir du plaisir, et il est quelquefois avantageux de souffrir la douleur.

Mais pour faire bien comprendre ce que je veux dire, il faut savoir :

4° Qu’il n’y a que Dieu qui soit assez puissant pour agir en nous, et pour nous faire sentir le plaisir et la douleur : car il est évident à tout homme qui consulte sa raison, et qui méprise les rapports de ses sens, que ce ne sont point les objets que nous sentons qui agissent effectivement en nous, puisque le corps ne peut agir sur l’esprit ; et que ce n’est point non plus notre âme qui cause en elle-même son plaisir et sa douleur à leur occasion, car s’il dépendait de l’âme de sentir la douleur, elle n’en soutïrirait jamais ;

2° Qu’on ne doit donner ordinairement quelque bien que pour faire faire quelque bonne action ou pour la récompenser ; et qu’on ne doit ordinairement faire souffrir quelque mal que pour détourner d’une méchante action ou pour la punir : et qu’ainsi Dieu agissant toujours avec ordre, et selon les règles de la justice, tout plaisir dans son institution nous porte à quelque bonne action ou nous en récompense ; et toute douleur nous détourne de quelque action mauvaise ou nous en punit.