Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/37

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tend point d’être instruit par les hommes. Il faut interroger celui qui éclaire le monde afin qu’il nous éclaire avec le reste du monde ; et s’il ne nous éclaire pas après que nous l’aurons interrogé, ce sera sans doute que nous l’aurons mal interrogé.

Soit donc qu’on lise Aristote, soit qu’on lise Descartes, il ne faut croire d’abord ni Aristote ni Descartes ; mais il faut seulement méditer comme ils ont fait ou comme ils ont dû faire, avec toute l’attention dont on est capable, et ensuite obéir à la voix de notre maître commun, et nous soumettre de bonne foi in la conviction intérieure, et à ces mouvemens que l’on sent en méditant.

C’est après cela qu’il est permis de former un jugement pour ou contre les auteurs. Mais c’est après avoir ainsi digéré les principes de la philosophie de Descartes et d’Aristote, qu’on rejette l’un et qu”on approuve l’autre ; que l’on peut même assurer du dernier qu’on n’expliquera jamais aucun phénomène de la nature, par les principes qui lui sont particuliers, comme ils n’y ont encore de rien servi depuis deux mille ans, quoique sa philosophie ait été l’étude des plus habiles gens dans presque toutes les parties du monde : et qu’au contraire, on peut dire hardiment de l’autre, qu’il a pénétré ce qui paraissait le plus caché aux yeux des hommes, et qu’il leur a montré un chemin très-sûr pour découvrir toutes les vérités qu’un entendement limité peut comprendre.

Mais, sans nous arrêter au sentiment qu’on peut avoir de ces deux philosophes et de tous les autres, regardons-les toujours comme des hommes, et que les sectateurs d’Aristote ne trouvent pas à redire, si après avoir marché pendant tant de siècles dans les ténèbres, sans se trouver plus avancé qu’on était auparavant, on veut enfin voir clair à ce qu’on lait, et si après s’être laissé mener comme des aveugles on se souvient que l’on a des yeux avec lesquels on veut essayer de se conduire.

Soyons donc pleinement convaincus que cette règle : qu’il ne faut jamais donner un consentement entier, qu’aux choses qu’on voit avec évidence, est la plus nécessaire de toutes les règles dans la recherche de la vérité ; et n’admettons dans notre esprit pour vrai que ce qui nous paraît dans l’évidence qu’elle demande. Il faut que nous en soyons persuadés pour nous défaire de nos préjugés ; et il est absolument nécessaire que nous soyons entièrement délivrés de nos préjugés pour entrer dans la connaissance de la vérité ; parce qu’il faut absolument que l’esprit soit purifié avant que d’être éclairé : Sapíentía prima stultitia caruísse.

II. Mais avant que de finir ce chapitre il faut remarquer trois choses. La première est que je ne parle point ici des choses de la