Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/377

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ouverts. Il ne faut donc pas juger, je ne dis pas de l’efficace, je dis de la réalité des idées par la manière forte ou légère dont elles nous touchent ; mais il en faut juger de ce qu’elles nous touchent, quelque légère que puisse être la modalité dont elles nous touchent, quelque faible que soit la perception que nous en avons. Il faut juger de leur réalité, parce que nous l’apercevons et que le néant ne peut être aperçu. Je dis ceci pour faire concevoir qu’il n’y a point de contradiction que l’infini puisse être aperçu par une capacité finie de perception, et pour désabuser ceux qui, trompés par cette contradiction prétendue, soutiennent qu’on n’a point d’idée de l’infini, nonobstant le sentiment intérieur qui nous apprend que nous pensons actuellement à l’infini, ou, pour parler comme les autres, que nous avons naturellement l’idée de Dieu ou de l’être infiniment parfait.

J’aurais pu prouver que les modalités de l’âme ne sont point représentatives de l’infini ni de quoi que ce soit, ou que les idées sont bien différentes des perceptions que nous en avons, par d’autres preuves que celle que je viens de tirer de cette notion commune, que le néant n’est pas visible. Car il est clair que les modalités de l’âme sont changeantes et que les idées sont immuables ; que ses modalités sont particulières, et que les idées sont universelles et générales à toutes les intelligences ; que ses modalités sont contingentes, et que les idées sont éternelles et nécessaires ; que ses modalités sont obscures et ténébreuses, et que les idées sont très-claires et très-lumineuses ; c’est-à-dire que ses modalités ne sont qu’obscurément, quoique vivement senties, et que les idées sont clairement connues, comme étant le fondement de toutes les sciences. Mais j’ai déjà tant écrit sur la nature des idées dans cet ouvrage et dans plusieurs autres, que je crois avoir quelque droit d’y renvoyer le lecteur.

Il est donc aussi évident qu’il y a un Dieu qu’il l’est à moi que je suis. Je conclus que je suis, parce que je me sens, et que le néant ne peut être senti. Je conclus de même que Dieu est, que l’être infiniment parfait existe, parce que je l’aperçois, et que le néant ne peut être aperçu, ni par conséquent l’infini dans le fini.

Mais il est inutile de proposer au commun des hommes de ces démonstrations. Ce sont des démonstrations que l’on peut appeler personnelles, parce qu’elles ne convainquent point généralement tous les hommes. C’est que la plupart, et quelquefois même les plus savants ou qui ont le plus de lecture, ne veulent ou ne peuvent pas donner d’attention à des preuves métaphysiques, pour lesquelles ils ont d’ordinaire un souverain mépris. Il faut donc, si