Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/417

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abandonnions à nos passions et que nous n’y résistions jamais, puisque le plaisir et la douleur qu’il nous fait sentir dans ces rencontres sont des preuves certaines de ses volontés sur nous. C’est donc suivre Dieu que de suivre les désirs de son cœur, et c’est obéir à sa voix que de se rendre à cet instinct de la nature qui nous porte à satisfaire nos sens et nos passions. C’est de cette sorte qu’ils raisonnent et qu’ils se confirment dans leurs opinions infâmes. C’est ainsi qu’ils tâchent de se mettre il couvert des reproches secrets de leur raison, et Dieu permet pour punition de leurs crimes qu’ils s’éblouissent de ces fausses lumières. Trompeuses lumières qui les aveuglent au lieu de les éclairer, mais qui les aveuglent d’un aveuglement qu’ils ne sentent point et dont ils ne souhaitent pas même d’être guéris. Dieu les livre à un sens réprouvé ; il les abandonne aux désirs de leur cœur, à des passions honteuses, à des actions indignes de l’homme, comme parle l’Écriture. afin qu’après s’être engraissés dans leurs débauches ils soient dans toute l’éternité les victimes du sacrifice de sa colère.

Mais il faut délier le nœud de la difficulté qu’ils proposent. La secte de Zénon n’ayant pu le délier l’a coupé d’abord en niant que le plaisir fût un bien et que la douleur fût un mal. Mais cette défaite est bien cavalière pour des philosophes, et je ne crois pas qu’elle fasse changer de sentiment ceux qui reconnaissent par expérience qu’une grande douleur est une grande misère. Ainsi Zénon et toute la philosophie païenne ne peut résoudre la difficulté proposée par les épicuriens, et il faut avoir recours à une autre philosophie plus solide et plus éclairée.

Il est vrai que le plaisir est bon et que la douleur est mauvaise, que c’est le plaisir et la douleur que l’auteur de la nature a attaché à l’usage de certaines choses qui nous fait juger si elles sont bonnes ou si elles sont mauvaises, que nous devons user des bonnes et fuir les mauvaises, et suivre presque toujours les mouvements des passions. Tout cela est vrai, mais cela ne regarde que le corps. Il faut presque toujours se laisser conduire à ses passions et à ses désirs pour conserver son corps et pour continuer long-temps une vie semblable à celle des bêtes. Les sens et les passions ne nous sont donnés que pour le bien du corps. Le plaisir sensible est le caractère que la nature a attaché à l’usage de certaines choses, afin que, sans avoir la peine de les examiner par la raison, nous nous en servissions pour la conservation du corps, mais non pas afin que nous les aimassions. Car nous ne devons aimer que ce que nous reconnaissons très-certainement par la raison être notre bien.