Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/438

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velles, mais je les ai expliquées en parlant des inclinations naturelles. On ne considère ici l’âme que par rapport au corps, et selon ce rapport c’est l’émotion extraordinaire des esprits animaux qui est la cause naturelle de son application aux choses nouvelles, car les émotions ordinaires des esprits n’excitent que très-peu notre attention.

Dans l’admiration précisément comme telle, on ne considère les choses que selon ce qu’elles sont en elles-mêmes ou selon ce qu’elles paraissent ; on ne les considère point par rapport à soi, on ne les considère point comme bonnes ou comme mauvaises ; et c’est pour cela que les esprits ne se répandent point dans les muscles pour donner au corps la disposition propre à la recherche du bien ou à la fuite du mal, et qu’ils n’agitent point les nerfs qui vont au cœur et aux autres viscères, pour hâter ou pour retarder la fermentation et le mouvement du sang, comme il arrive dans toutes les autres passions. Tout ce qu’il y a d’esprits tend vers le cerveau pour y tracer une image vive et distincte de l’objet qui surprend, afin que l’âme le considère et le reconnaisse ; mais tout le reste du corps demeure comme immobile et dans la même posture. Comme il n’y a point d’émotion dans l’âme, il n’y a point aussi de mouvement dans le corps.

Si les choses que l’on admire paraissent grandes, l’admiration est toujours suivie de l’estime et quelquefois de la vénération. Elle est au contraire toujours accompagnée de mépris, et quelquefois de dédain, lorsqu’elles paraissent petites.

L’idée de la grandeur produit dans le cerveau un grand mouvement d’esprits, et la trace qui la représente se conserve fort longtemps. Un grand mouvement d’esprits excite aussi dans l’àme l’idée de la grandeur, et il arrête beaucoup l’esprit à la considération de cette idée.

L’idée de petitesse produit dans le cerveau un petit mouvement d’esprits, et la trace qui la représente ne se conserve pas longtemps. Un petit mouvement d’esprits excite aussi dans l’âme une idée de petitesse, et il arrête peu l’esprit à la considération de cette idée. Ces choses méritent fort d’être remarquées.

Lorsque nous nous considérons nous-mêmes ou quelque chose qui nous est uni, notre admiration n’est jamais sans quelque passion qui nous agite. Mais notre agitation n’est que dans l’âme et dans les esprits qui vont au cœur, parce que n’y ayant point de bien qu’il faille rechercher, ni de mal qu’il faille éviter, les esprits ne se répandent point dans les muscles pour disposer le corps à quelque action.