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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/440

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sion, dispose machinalement tous ceux qui le voient à des passions et à des mouvements utiles au bien de la société. L’admiration même, lorsqu’elle n’est causée en nous que par la vue de quelque chose qui est hors de nous et que les autres peuvent considérer, produit sur notre visage un air qui imprime machinalement l’admiration dans les autres, et qui agit même sur leur cerveau d’une manière si bien réglée, que les esprits qui y sont contenus sont poussés dans les muscles de leur visage pour y former un air tout semblable au nôtre.

Cette communication des passions de l’âme et des mouvements des esprits animaux, pour unir ensemble les hommes par rapport au bien et au mal, et pour les rendre entièrement semblables les uns aux autres. non-seulement par la disposition de leur esprit, mais encore par la situation de leur corps, est d’autant plus grande et plus remarquable que les passions sont plus violentes ; parce qu’alors les esprits animaux sont agités avec plus de force. Or, cela doit être ainsi, parce que les biens et les maux étant plus grands ou plus présents, il faut s’y appliquer davantage, et s’unir plus fortement les uns avec les autres pour les fuir ou pour les rechercher. Mais lorsque les passions sont fort modérées, comme l’est ordinairement l’admiration, elles ne se communiquent pas sensiblement, et ne répondent presque pas l’air par lequel elles ont coutume de se communiquer ; comme rien ne presse, il n’est pas à propos qu’elles fassent effort sur l’imagination des autres, ni qu’elles les détournent de leurs occupations, auxquelles il est peut-être plus nécessaire qu’ils s’emploient, qu’à considérer les causes de ces passions.

Il n’y a rien de plus merveilleux que cette économie de nos passions et que cette disposition de notre corps par rapport aux objets qui nous environnent. Tout ce qui se passe en nous machinalement est très-digne de la sagesse de celui qui nous a faits ; et comme Dieu nous a rendus capables de toutes les passions qui nous agitent, afin principalement de nous lier avec toutes les choses sensibles pour la conservation de la société et de notre être sensible, son dessein s’exécute si fidèlement par la construction de son ouvrage, qu’on ne peut s’empêcher d’en admirer l’artifice et les ressorts.

Cependant nos passions et tous ces liens imperceptibles par lesquels nous tenons à tout ce qui nous environne, sont souvent, par notre faute, des causes très-considérables de nos erreurs et de nos désordres. Car nous ne faisons point l’usage que nous devrions faire de nos passions ; nous leur permettons toutes choses, et nous ne