Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/448

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elles le seront encore maintenant. C’est une illusion que de prétendre prouver par des autorités humaines les vérités de la nature. Peut-être que l’on peut prouver qu’Aristote a eu de certaines pensées sur de certains sujets ; mais ce n’est pas être fort raisonnable que de lire Aristote ou quelque auteur que ce soit avec beaucoup d’assiduité et de peine pour en apprendre historiquement les opinions et pour en instruire les autres.

On ne peut considérer sans quelque émotion que certaines universités, qui ne sont établies que pour la recherche et la défense de la vérité, soient devenues des sectes particulières, qui font gloire d’étudier et de défendre les sentiments de quelques hommes. On ne peut lire sans quelque indignation les livres que les philosophes et les médecins composent tous les jours, dans lesquels les citations sont si fréquentes, qu’on les prendrait plutôt pour des écrits de théologiens et de canonistes que pour des traités de physique ou de médecine ; car le moyen de souffrir qu’on abandonne la raison et l’expérience, pour suivre aveuglément les imaginations d’Aristote, de Platon, d’Epicure, ou de quelque autre philosophe que ce puisse être !

Cependant on demeurerait peut-être immobile et sans parole à la vue d’une conduite si étrange, si l’on ne se sentait point blessé ; je veux dire si ces messieurs ne combattaient point contre la vérité, à laquelle seule on croit devoir s’attacher. Mais l’admiration pour les rêveries des anciens leur inspire un zèle aveugle contre les vérités nouvellement découvertes : ils les décrient sans les savoir ; ils les combattent sans les comprendre, et ils répandent, par la force de leur imagination dans l’esprit et dans le cœur de ceux qui les approchent et qui les admirent les mêmes sentiments dont ils sont prévenus.

Comme ils ne jugent de ces nouvelles découvertes que par l’estime qu’ils ont de leurs auteurs, et que ceux qu’ils ont vus et avec lesquels ils ont conversé n’ont point cet air grand et extraordinaire que l’imagination attache aux auteurs anciens, ils ne peuvent les estimer. Car l’idée des hommes de notre siècle n’étant point accompagnée de mouvements extraordinaires et qui frappent l’esprit, n’excite naturellement que du mépris.

Les peintres et les sculpteurs ne représentent jamais les philosophes de l’antiquité comme d’autres hommes ; ils leur font la tète grosse, le front large et élevé, et la barbe ample et magnifique. C’est une bonne preuve que le commun des hommes s’en forme naturellement une semblable idée ; car les peintres peignent les choses comme on se les figure, ils suivent les mouvements naturels