Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/451

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esprits, qu’ils ne représentent les objets que selon le rapport qu’ils ont avec nous, et non pas selon ce qu’ils sont en eux-mêmes.

Il n’y a rien de si difficile que de s’appliquer long-tempsà une chose lorsque, ne l’admirant point, les esprits animaux ne se portent pas facilement aux endroits nécessaires pour se la représenter. On a beau nous dire que nous soyons attentifs ; nous ne pouvons pas l’être, ou nous ne pouvons pas l’être long-temps, quoique d’ailleurs nous soyons persuadés, d’une certaine persuasion abstraite et qui n’agite point les esprits, que la chose mérite fort notre application, ll est nécessaire que nous trompions notre imagination pour réveiller nos esprits, et que nous nous représentions d’une manière nouvelle le sujet que nous voulons méditer, afin d’exciter en nous quelque mouvement d’admiration.

Nous voyons tous les jours des esprits qui ne trouvent point de goût à l’étude ; rien ne leur parait plus pénible que l’application de l’esprit. Ils sont convaincus qu’ils doivent étudier certaines matières, et ils font pour cela tous leurs efforts, mais ces efforts sont assez inutiles ; ils n’avancent pas beaucoup et ils se lassent incontinent. Il est vrai que les esprits animaux obéissent aux ordres de la volonté, et que l’on se rend attentif lorsqu’on le souhaite. Mais, lorsque la volonté qui commande est une volonté de pure raison, qui n’est point soutenue de quelque passion, cela se fait d’une manière si faible et si languissante, que nos idées ressemblent alors à des fantômes qu’on ne fait qu’entrevoir, et qui disparaissent en un moment. Nos esprits animaux reçoivent tant d’ordres secrets de la part de nos passions, et ils ont par nature et par habitude une si grande facilité il les exécuter, qu’ils sont très-aisément détournés le ces chemins nouveaux et difficiles ou la volonté les voulait engager. De sorte que c’est principalement dans ces rencontres que l’on a besoin d’une grâce particulière pour connaître la vérité, parce qu’on ne peut, par ses propres forces, résister long-temps au poids lu corps qui appesantit l’esprit ; ou, si on le peut, on ne fait jamais ce que l’on peut.

Mais lorsque quelque mouvement (l’admiration nous réveille, les esprits animaux se répandent naturellement vers les traces de l’objet qui l’ont excitée ; ils le représentent nettement à l’esprit, et il se fait dans le cerveau tout ce qui est nécessaire pour produire la lumière et l’évidence, sans que la volonté se fatigue à pousser les esprits rebelles. Ainsi ceux qui sont capables d’admiration sont beaucoup plus propres a l’étude que ceux qui n’en sont point susceptibles ; ils sont ingénieux, et les autres sont stupides.

Cependant, lorsque l’admiration devient excessive et qu’elle va