Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ces fantômes aient un corps véritable à cause qu’ils repoussent quelques faibles rayons de la lumière qui les frappe.

Mais quand on supposerait dans ces esprits assez de docilité et de réflexion pour écouter et pour comprendre des raisons capables de dissiper leurs erreurs, leur imagination étant déréglée par la crainte, et leur cœur corrompu par la haine et par le faux zèle. ces raisons, toutes solides qu’elles seraient en elles-mêmes ne pourraient arrêter long-temps le mouvement impétueux de ces passions violentes, ni empêcher qu’elles ne se justifiassent bientôt par des preuves sensibles et convaincantes.

Car on doit remarquer qu’il y a des passions qui passent et qui ne reviennent plus, et qu’il y en a d’autres constantes et qui subsistent long-temps. Celles qui ne sont point soutenues par la vue de l’esprit et par quelque raison vraisemblable, mais qui sont seulement produites et fortifiées par la vue sensible de quelque objet et par la fermentation du sang, ne durent pas ; elles meurent pour l’ordinaire incontinent après leur naissance. Mais celles qui sont accompagnées de la vue de l’esprit sont constantes, car le principe qui les produit n’est pas sujet au changement comme le sang et les humeurs. De sorte que la haine, la crainte et toutes les autres passions qui s’excitent ou qui se conservent en nous par la connaissance de l’esprit et non point par la vue sensible de quelque mal, doivent subsister long-temps. Ces passions sont donc les plus durables, les plus violentes, les plus injustes, mais elles ne sont pas les plus vives et les plus sensibles, comme on le va faire voir.

La perception du bien et du mal, laquelle excite les passions, se fait en trois manières : par les sens, par imagination et par l’esprit. La perception du bien et du mal par les sens, ou le sentiment du bien et du mal produit des passions très-promptes et très-sensibles. La perception du bien et du mal par la seule imagination en excite de bien plus faibles ; et la vue du bien et du mal par l’esprit seul n’en produit de véritables, que parce que cette vue du bien et du mal par l’esprit est toujours accompagnée de quelque mouvement des esprits animaux.

Les passions ne nous sont données que pour le bien du corps, et que pour nous unir par le corps à tous les objets sensibles ; car encore que les choses sensibles ne puissent être ni bonnes ni mauvaises à l’égard de l’esprit, elles sont toutefois bonnes ou mauvaises par rapport au corps auquel l’esprit est uni. Ainsi les sens et l’imagination découvrant beaucoup mieux les rapports que les objets sensibles ont avec le corps que l’esprit même, ces facultés doivent exciter des passions beaucoup plus vives qu’une connaissance claire