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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/500

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de parfaite régularité dans le cours des planètes ; nageant dans ces grands espaces, elles sont emportées irrégulièrement par la matière fluide qui les environne. Ainsi, les erreurs où l’on tombe dans l’astronomie, les mécaniques, la musique, et dans toutes les sciences auxquelles on applique la géométrie, ne viennent point de la géométrie, qui est une science incontestable, mais de la fausse application qu’on en fait.

On suppose, par exemple, que les planètes décrivent par leurs mouvements des cercles et des ellipses parfaitement régulières ; ce qui n’est point vrai. On fait bien de le supposer, afin de raisonner, et aussi parce qu’il s’en faut peu que cela ne soit vrai ; mais on doit toujours se souvenir que le principe sur lequel on raisonne est une supposition. De même, dans les mécaniques on suppose que les roues et les leviers sont parfaitement durs et semblables à des lignes et à des cercles mathématiques sans pesanteur et sans frottement ; ou plutôt on ne considère pas assez leur pesanteur, leur frottement, leur matière, ni le rapport que ces choses ont entre elles ; que la dureté ou la grandeur augmente la pesanteur, que la pesanteur augmente le frottement, que le frottement diminue la force, qu’elle rompt ou use en peu de temps la machine, et qu’ainsi ce qui réussit presque toujours en petit ne réussit presque jamais en grand.

Il ne faut donc pas s’étonner si on se trompe, puisque l’on veut raisonner sur des principes qui ne sont point exactement connus ; et il ne faut pas s’imaginer que la géométrie soit inutile à cause qu’elle ne nous délivre pas de toutes nos erreurs. Les suppositions établies, elle nous fait raisonner conséquemment. Nous rendant attentifs à ce que nous considérons, elle nous le fait connaître évidemment. Nous reconnaissons même par elle si nos suppositions sont fausses z car étant toujours certains que nos raisonnements sont vrais, et l’expérience ne s’accordant point avec eux, nous découvrons que les principes supposés sont faux. Mais sans la géométrie et l’arithmétique on ne peut rien découvrir dans les sciences exactes qui soit un peu difficile, quoiqu’on ait des principes certains et incontestables.

On doit donc regarder la géométrie comme une espèce de science universelle qui ouvre l’esprit, qui le rend attentif, et qui lui donne l’adresse de régler son imagination et d’en tirer tout le secours qu’il en peut recevoir : car, par le secours de la géométrie, l’esprit règle le mouvement de l’imagination, et l’imagination réglée soutient la vue et l’application de l’esprit.

Mais afin que l’on sache faire un bon usage de la géométrie, il