Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/567

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on peut raisonner ; car ayant reconnu que Dieu ne se plait point à nous tromper, il nous est alors permis de raisonner.

Il est évident que la certitude de la foi dépend aussi de ce principe qu’il y a un Dieu qui n’est point capable de nous tromper. Car l’existence d’un Dieu et l’infaillibilité de l’autorité divine sont plutôt des connaissances naturelles et des notions communes à des esprits capables d’une sérieuse attention, que des articles de foi ; quoique ce soit un don particulier de Dieu que d’avoir l’esprit capable d’une attention snñisante pour comprendre comme il faut ces vérités, et pour vouloir bien s’appliquer à les comprendre.

De ce principe, que Dieu n’est point trompeur, on pourrait aussi conclure que nous avons effectivement un corps auquel nous sommes unis d’une façon particulière, et que nous sommes environnés de plusieurs autres. Car nous sommes intérieurement convaincus de leur existence par des sentiments continuels que Dieu produit en nous, et que nous ne pouvons corriger par la raison sans blesser la foi ; quoique nous puissions corriger par la raison les sentimens qui nous les représentent avec certaines qualités et certaines perfections qu’ils n’ont point. De sorte que nous ne devons pas croire qu’ils sont tels que nous les voyons, ou que nous les imaginons, mais seulement qu’ils existent et qu’ils sont tels que nous les concevons par la raison.

Mais, afin de raisonner par ordre, nous ne devons point encore examiner si nous avons un corps et s’il y en a d’autres autour de nous, ou si nous en avons seulement les sentiments quoique ces corps n’existent point. Cette question renferme de trop grandes difficultés, et il n’est peut-être pas si nécessaire de la résoudre pour perfectionner ses connaissances, qu’on pourrait se l’imaginer. ni même pour avoir une connaissance exacte de la physique, de la morale et de quelques autres sciences.

Nous avons en nous les idées des nombres et de l’étendue, desquelles l’existence est incontestable et la nature immuable, qui nous fourniraient éternellement de quoi penser, si nous en voulions connaître tous les rapports. Et il est nécessaire que nous commencions à faire usage de notre esprit sur ces idées pour des raisons qu’il ne sera pas inutile d’exposer. Il y en à trois principales.

La première est que ces idées sont les plus claires et les plus évidentes de toutes. Car si, pour éviter l’erreur, on doit toujours conserver l’évidence dans ses raisonnements, il est clair que l’on doit plutôt raisonner sur les idées des nombres et de l’étendue, que sur les idées confuses ou composées de physique, de morale, de mécanique, de chimie et de toutes les autres sciences.