Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/580

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les cartésiens croient que les bêtes ont une âme, c’est-à-dire un principe corporel de leur mouvement ; et les uns et les autres croient qu’elles n’en ont point, c’est-à-dire qu’il n’y a rien en elles de spirituel et d’indivisible.

Ainsi, la différence qu’il y a entra les péripatéticiens et ceux que l’on appelle cartésiens n’est pas en ce que les premiers croient que les bêtes ont des âmes et que les autres ne le croient pas ; mais seulement en ce que les premiers croient que les animaux sont capables de sentir de la douleur, du plaisir, de voir les couleurs, d’entendre les sons, et d’avoir généralement toutes les sensations et toutes les passions que nous avons, et que les cartésiens croient le contraire. Les cartésiens distinguent les mots de sentiment pour en ôter l’équivoque. Car, par exemple, ils disent que lorsqu’on est trop proche du feu, les parties du bois viennent heurter contre la main ; qu’elles en ébranlent les fibres, que cet ébranlement se communique jusqu’au cerveau, qu’il détermine les esprits animaux qui y sont contenus à se répandre dans les parties extérieures du corps d’une manière propre pour le faire retirer. Ils demeurent d’accord que toutes ces choses ou de semblables se peuvent rencontrer dans les animaux, et qu’elles s’y rencontrent effectivement, parce qu’elles ne sont que des propriétés de corps. Et les péripatéticiens en conviennent.

Les cartésiens disent de plus que, dans les hommes, l’ébranlement des fibres du cerveau est accompagné du sentiment de chaleur et que le cours des esprits animaux vers le cœur et vers les viscères est suivi de la passion de haine ou d’aversion ; mais ils nient que ces sentiments et ces passions de l’âme se rencontrent dans les bêtes. Les péripatéticiens assurent au contraire que les bêtes sentent aussi bien que nous cette chaleur ; qu’elles ont comme nous de l’aversion pour tout ce qui les incommode ; et généralement qu’elles sont capables de tous les sentiments et de toutes les passions que nous ressentons. Les cartésiens ne pensent pas que les bêtes sentent de la douleur ou du plaisir, ni qu’elles aiment ou qu’elles haïssent aucune chose, parce qu’ils n’admettent rien que de matériel dans les bêtes et qu’ils ne croient pas que les sentiments ni les passions soient des propriétés de la matière telle qu’elle puisse être. Quelques péripatéticiens, au contraire, pensent que la matière est capable de sentiment et de passion lorsqu’elle est, disent-ils, subtilisée ; que les bêtes peuvent sentir par le moyen des esprits animaux, c’est-à-dire par le moyen d’une matière extrêmement subtile et délicate, et que l’âme même n’est capable de sentiment et de passion qu’à cause qu’elle est unie à cette matière.