Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/607

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moins de contention d’esprit, puisque je n’ai pu d’abord, d’une simple vue et avec toute l’attention dont je suis capable, découvrir ce que je cherchais. Et c’est ce que je pouvais faire dès le commencement, car quand les sujets que l’on considère sont un peu cachés, c’est toujours le meilleur de ne les examiner que par parties, et de ne se point fatiguer inutilement sur de fausses espérances de rencontrer heureusement.

Ce que je cherche est la cause de l’étroite union qui se trouve entre les petites parties qui composent le petit lien A, B. Or, il n’y a que trois choses que je conçoive distinctement pouvoir être la cause que je cherche, savoir : les parties mêmes de ce petit lien, ou bien la volonté de l’auteur de la nature, ou enfin les corps invisibles qui environnent ces petits liens. Je pourrais encore apporter pour cause de ces choses la forme des corps, les qualités de dureté, ou quelque qualité occulte, la sympathie qui serait entre les parties de même genre, etc. Mais parce que je n’ai point d’idée distincte de ces belles choses, je ne dois ni ne puis y appuyer mes raisonnements ; de sorte que, si je ne trouve pas la cause que je cherche dans les choses dont j’ai des idées distinctes, je ne me peinerai pas inutilement à la contemplation de ces idées vagues et générales de logique, et je cesserai de vouloir parler de ce que je n’entends point. Mais examinons la première de ces choses qui peuvent être cause que les parties de ce petit tien sont si fort attachées, savoir les petites parties dont il est composé.

Quand je ne considère que les parties dont les corps durs sont composés, je me sens porté à croire qu’on ne peut imaginer aucun ciment qui unísse les parties de ce lien, qu’elles-mêmes et leur propre repos ; car de quelle nature pourrait-il être ? Il ne sera pas une chose qui subsiste de soi-même ; car toutes ces petites parties étant des substances, pour quelle raison seraient-elles unies par d’autres substances que par elles-mêmes ? Il ne sera pas aussi une qualité différente du repos, parce qu’íl n’y a aucune qualité plus contraire au mouvement qui pourrait séparer ces parties que le repos qui est en elles ; mais outre les substances et leurs qualités, nous ne connaissons point qu’íl y ait d’autres genres de choses[1].

Il est bien vrai que les parties des corps durs demeurent unies, tant qu’elles sont en repos les unes auprès des autres ; et que lorsqu’elles sont une fois en repos, elles continuent par elles-mêmes d’y demeurer autant qu’il se peut. Mais ce n’est pas ce que je cherche, je prends le change. Je ne cherche pas d’où vient que les parties des corps durs sont en repos les unes auprès des autres :

  1. Principes de Descartes. art. 55 de la seconde partie.