Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/62

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prit suppose toujours l’égalité où il ne voit point d’inégalité ; cependant il ne la devrait positivement reconnaître qu’où il la voit avec évidence.

On ne s’arrète pas ici à expliquer plus au long les erreurs de notre vue à l’égard des figures des corps, parce qu’on s’en peut instruire dans quelque livre d’optique. Cette science en effet n’apprend que la manière de tromper les yeux ; et toute son adresse ne consiste qu’à trouver des moyens pour nous faire faire les jugements naturels dont je viens de parler dans le temps que nous ne les devons pas faire. Et cela se peut exécuter en tant de différentes manières que de toutes les figures qui sont au monde, il n’y en a pas une seule qu’on ne puisse peindre en mille façons ; de sorte que la vue s’y trompera infailliblement. Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer ces choses à fond. Ce que l’on a dit suffit pour faire voir qu’il ne faut pas tant se fier à ses yeux, lors même qu’ils nous représentent la figure des corps ; quoiqu’en matière de figures ils soient beaucoup plus fidèles qu’en toute autre rencontre.


CHAPITRE VIII.
I. Que nos yeux ne nous apprennent point la grandeur ou la vitesse du mouvement considéré en soi. — II. Que la durée qui est nécessaire pour connaître le mouvement ne nous est pas connue. — III. Exemple des erreurs de nos yeux touchant le mouvement et le repos.


Nous avons découvert les principales et plus générales erreurs de notre vue à l’égard de l’étendue et des figures ; il faut maintenant corriger celles où cette même vue nous engage touchant le mouvement de la matière. Et cela ne sera guère difficile après ce que nous avons dit de l’étendue ; car il y a tant de rapport entre ces deux choses que si nous nous trompons dans la grandeur des corps, il est absolument nécessaire que nous nous trompions aussi dans leur mouvement.

Mais afin de ne rien dire que de net et de distinct, il faut d’abord ôter l’équivoque du mot de mouvement ; car ce terme signifie ordinairement deux choses : la première est une certaine force qu’on imagine dans le corps mu qui est la cause de son mouvement ; la seconde est le transport continuel d’un corps qui s’éloigne ou qui s’approche d’un autre que l’on considère comme en repos.

Quand on dit par exemple qu’une boule a communiqué de son mouvement à une autre, le mot de mouvement se prend dans la première signification ; mais si on dit simplement qu’on voit une