Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/67

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meuve de C en P, on peut croire qu’il ne se meut que de B en O ; et au contraire, bien qu’il ne se meuve que de B en O, on le peut croire se mouvoir de C en P.

Si par delà l’objet C il se trouve un autre objet M, que l’on croie immobile, et qui cependant se meuve vers N ; quoique l’objet C demeure immobile, ou se meuve beaucoup plus lentement vers F, que M. vers N, il paraîtra se mouvoir vers Y, et au contraire, si, etc.

II. Il est évident que la preuve de toutes ces propositions, hormis de la dernière, où il n’y a point de difficultés, ne dépend que d’une chose, qui est, que nous ne pouvons d’ordinaire juger avec assurance de la distance des objets. Car s’il est vrai que nous n’en saurions juger avec certitude, il s’ensuit que nous ne pouvons savoir si C s’est avancé vers D, ou s’il s’est approché vers B, et ainsi des autres propositions.

Or pour voir si les jugements que nous formons de la distance des objets sont assurés, il n’y a qu’à examiner les moyens dont nous nous servons pour en juger ; et si ces moyens sont incertains, il ne se peut pas faire que les jugements soient infaillibles. Il y en a plusieurs et il les faut expliquer.

III. Le premier, le plus universel, et quelquefois le plus sûr moyen que nous ayons pour juger de la distance des objets, est l’angle que font les rayons de nos yeux duquel l’objet en est le sommet, c’est-à-dire, duquel l’objet est le point où ces rayons se rencontrent. Lorsque cet angle est fort grand, nous voyons l’objet fort proche, et au contraire quand il est fort petit, nous le voyons fort éloigné. Et le changement qui arrive dans la situation de nos yeux selon les changements de cet angle, est le moyen dont notre âme se sert pour juger de l’éloignement ou de la proximité des objets. Car de même qu’un aveugle qui aurait dans ses mains deux bâtons droits desquels il ne saurait pas la longueur, pourrait, par une espèce de géométrie naturelle, juger à peu près de la distance de quelque corps en le touchant du bout de ces deux bâtons, à cause de la disposition et de l’éloignement ou ses mains se trouveraient ; ainsi on peut dire que l’âme juge de la distance d’un objet par la disposition de ses yeux qui n’est pas la même quand l’angle par lequel elle le voit est grand que quand il est petit, c’est-à-dire quand l’objet est proche que quand il est éloigné[1].

On se persuadera facilement de ce que je dis, si l’on prend la

  1. L’âme ne fait point tous les jugements que je lui attribue, ces jugements naturels ne sont que des sensations ; et je ne parle ainsi, qu’afin de mieux expliquer les choses. Yoy. l’art. 4 du ch. 7.