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Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/82

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objets, toutes les fois qu’íls agissent sur nous par le mouvement de quelques parties invisibles ; et c’est pour cette raison que l’on croit ordinairement que les couleurs, la lumière, les odeurs, les saveurs, le son, et quelques autres sentiments, sont dans l’air ou dans les objets extérieurs qui les causent, parce que toutes ces sensations sont produites en nous par le mouvement de quelques corps imperceptibles[1].


CHAPITRE XII.
I. Des erreurs touchant les mouvements des fibres de nos sens. — II. Que nous n'apercevons pas ces mouvements, ou que nous les confondons avec nos sensations. — III. Expérience qui le prouve. — IV. Trois sortes de sensations. — V. Les erreurs qui les accompagnent.


I. La seconde chose qui se trouve dans chacune des sensations est ébranlement des fibres de nos nerfs qui se communique jusqu’au cerveau, et nous nous trompons en ce que nous confondons toujours cet ébranlement avec la sensation de l'âme, et que nous jugeons qu’il n’y a point de tel ébranlement lorsque nous n’en apercevons point par les sens.

II. Nous confondons, par exemple, l'ébranlement que le feu excite dans les fibres de notre main, avec la sensation de chaleur, et nous disons que la chaleur est dans notre main : mais parce que nous ne sentons point l’ébranlement que les objets visibles font sur le nerf optique qui est au fond de l’œil, nous pensons que ce nerf n’est point ébranlé et qu'il n’est point couvert des couleurs que nous voyons ; nous jugeons au contraire qu'il n’y a que l’objet extérieur sur lequel ces couleurs soient répandues. Cependant on peut voir par l’expérience qui suit que les couleurs sont presque aussi fortes et aussi vives sur le fond du nerf optique que sur les objets visibles ;

III. Que l’on prenne un œil de bœuf nouvellement tué, qu’on ôte les peaux qui sont à l’opposite de la prunelle à l’endroit où est le nerf optique et qu’on mette en leur place quelque morceau de papier assez mince pour être transparent ; cela fait, qu’on mette cet œil au trou d’une fenêtre, ensorte que la prunelle soit à l’air, et que le derrière de l’œíl soit dans la chambre, qu’il faut bien fermer afin qu’elle soit fort obscure, et alors on verra toutes les couleurs des objets qui sont hors de la chambre répandues sur le fond de l’œil, mais peints à la renverse. Que s’il arrive que ces couleurs ne soient pas assez vives, il faudra allonger l’œil en le

  1. J’explíquerai ci-dessous en quel sens les objets sont causes de nos sensations.