Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/88

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est agréable quand ce qui se passe dans le corps est propre pour aider la circulation du sang et les autres fonctions de la vie : on la nomme du terme équivoque de chaleur ; et cette modification est pénible et toute différente de l’autre, quand ce qui se passe dans le corps est capable de l’incommoder ou de le brûler, c’est-à-dire quand les mouvements qui sont dans le corps sont capables d’en rompre quelques fibres, et elle s’appelle ordinairement douleur ou brûlure et ainsi des autres sensations. Mais voici les pensées ordinaires que l’on a sur ce sujet.

II. La première erreur est que l’on croit n’avoir aucune connaissance de ses sensations. Il se trouve tous les jours une infinité de gens qui se mettent fort en peine de savoir ce que c’est que la douleur, le plaisir et les autres sensations ; ils ne demeurent pas d’accord qu’elles ne sont que dans l’âme et qu’elles n’en sont que des modifications. Il est vrai que ces sortes de gens sont admirables, de vouloir qu’on leur apprenne ce qu’ils ne peuvent ignorer, car il n’est pas possible à un homme d’ignorer entièrement ce que c’est que la douleur quand il la sent.

Une personne, par exemple, qui se brûle la main, distingue fort bien la douleur qu’elle sent d’avec la lumière, la couleur, le son, les saveurs, les odeurs, le plaisir, et d’avec toute autre douleur que celle qu’elle sent ; elle la distingue très-bien de l’admiration, du désir, de l’amour ; elle la distingue d’un carré, d’un cercle, d’un mouvement ; enfin elle la reconnaît fort différente de toutes les choses qui ne sont point cette douleur qu’elle sent. Or, si elle n’avait aucune connaissance de la douleur, je voudrais bien savoir comment elle pourrait connaître avec évidence et certitude que ce qu’elle sent n’est aucune de ces choses.

Nous connaissons donc, en quelque manière, ce que nous sentons immédiatement quand nous voyons des couleurs ou que nous avons quelque autre sentiment, et même il est très-certain que, si nous ne le connaissions pas, nous ne connaîtrions aucun objet sensible ; car il est évident que nous ne pourrions pas distinguer, par exemple, l’eau d’avec le vin, si nous ne savions que les sensations que nous avons de l’un sont différentes de celles que nous avons de l’autre, et ainsi de toutes les choses que nous connaissons par les sens.

III. Il est vrai que, si on me presse, et qu’on me demande que j’explique donc ce que c’est que la douleur, le plaisir, la couleur, etc., je ne le pourrai pas faire comme il faut par des paroles ; mais il ne s’ensuit pas de là que, si je vois de la couleur ou que je me brûle, je ne connaisse au moins, en quelque manière, ce que je sens actuellement.