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Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/184

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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

XXXVI

Des discussions.

Donne à celui de nous que tu voudras un ignorant pour discuter avec lui, et il ne trouvera rien à en faire ; il tâtera un peu son homme ; puis, si celui-ci répond à contre-temps, il ne saura plus par où le prendre. Alors il l’injuriera ou se moquera de lui, et dira : « C’est un ignorant ; il n’y a rien à en faire. » Un bon guide, au contraire, quand il trouve quelqu’un d’égaré, le met dans son vrai chemin, au lieu de le laisser là après force railleries et injures. Montre donc à cet homme, toi aussi, où est la vérité, et tu verras comme il ira. Si tu ne le lui montres pas, ne te moque pas de lui ; aie plutôt le sentiment de ton impuissance.

Comment faisait donc Socrate ? Il forçait son interlocuteur lui-même à rendre témoignage de la vérité de ce qu’il lui disait, et il n’avait besoin du témoignage de personne autre. Il savait, en effet, rendre si claires les conséquences de nos pensées, que le premier venu s’apercevait des contradictions qu’il y avait entre les siennes, et y renonçait.

Le premier et le plus singulier mérite de Socrate était de ne jamais s’emporter dans la discussion, de ne jamais proférer une parole outrageante ou injurieuse, mais de laisser dire ceux qui l’insultaient, et de couper court aux disputes. Si vous voulez connaître toute sa force en ce genre, lisez le Banquet de Xénophon, et vous verrez à quelles disputes il sut mettre fin. Aussi chez les poètes eux-mêmes est-ce avec raison un grand éloge que ce mot :

« Il sut faire cesser en un instant la dispute, si vive qu’elle fût[1]. »

Disons tout. Des interrogations comme celles de Socrate ne seraient pas aujourd’hui sans péril, et surtout à Rome. Celui qui les fera, en effet, ne devra évidemment pas les faire dans un coin ; il devra aborder un personnage consulaire, si l’occasion s’en présente, ou bien un richard, et lui poser cette

  1. Hésiode, Theogonia, vers 87.