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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

clin à la colère, n’en entretiens pas en toi l’habitude ; ne lui donne rien pour l’alimenter. Calme ta première fureur, puis compte les jours où tu ne te seras pas emporté. « J’avais l’habitude de m’emporter tous les jours, diras-tu ; maintenant c’est un jour sur deux, puis ce sera un sur trois, et après cela un sur quatre. » Si tu passes ainsi trente jours, fais un sacrifice à Dieu. L’habitude, en effet, commence par s’affaiblir, puis elle disparaît entièrement.

Mais comment en arriver là ? Veuille te plaire à toi-même ; veuille être beau aux yeux de Dieu ; veuille vivre pur avec toi-même qui resteras pur, et avec Dieu. Puis, quand il se présentera à toi quelque apparition de ce genre, Platon te dit : « Recours aux sacrifices expiatoires ; recours, en suppliant, aux temples des dieux tutélaires ; » mais il te suffira de te retirer pour ainsi dire dans la société de quelqu’un des sages, et de rester avec lui en le comparant à lui, qu’il soit un de ceux qui vivent ou un de ceux qui sont morts.

Voilà le véritable lutteur : celui qui s’exerce à combattre ses représentations. Résiste, ô malheureux ! ne te laisse pas entraîner ! Importante est la lutte, et elle est le fait d’un Dieu : il s’agit de la royauté, de la liberté, de la vie heureuse et calme. Souviens-toi de Dieu, appelle-le à ton secours et à ton aide, comme dans la tempête les navigateurs appellent les Dioscures. Est-il, en effet, tempête plus terrible que celle qui naît de ces représentations, dont la force nous jette hors de notre raison ? La tempête elle-même, en effet, qu’est-elle autre chose qu’une représentation ? Enlève la crainte de la mort, et amène-nous tous les tonnerres et tous les éclairs que tu voudras, et tu verras quel calme et quelle tranquillité il y aura dans notre âme. Mais, si tu te laisses vaincre une fois, en te disant que tu vaincras demain, et que demain ce soit la même chose, sache que tu en arriveras à être si malade et si faible qu’à l’avenir tu ne t’apercevras même plus de tes fautes, mais que tu seras toujours prêt à trouver des excuses à tes actes. Tu confirmeras ainsi la vérité de ce vers d’Hésiode :

« L’homme irrésolu lutte toute sa vie contre le malheur[1]. »

  1. V. le Manuel, ch. LL.