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Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/198

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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

consent jamais à les avoir faits. Ce qui nous porte le plus à avouer la plupart de nos fautes, c’est que nous nous imaginons qu’il y a en elles quelque chose d’involontaire, comme dans la timidité et dans la facilité à s’attendrir. Si nous avouons un manque d’empire sur nous-mêmes, nous alléguons l’amour, pour que l’on nous pardonne le fait comme involontaire. Quant à l’injustice, on ne la croit jamais involontaire. Il y a de l’involontaire dans la jalousie, à ce que l’on pense ; aussi l’avoue-t-on, elle aussi[1].

Puisque c’est ainsi que sont faits les gens au milieu desquels nous vivons, esprits troublés, qui ne savent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils ont ou n’ont pas de mauvais, ni pourquoi ils l’ont, ni comment ils s’en délivreront, je crois qu’il est bon de nous demander sans cesse : « Est-ce que, moi aussi, je suis un d’eux ? Quelle idée me fais-je de moi ? Comment est-ce que je me conduis ? Ai-je bien, comme il convient à celui qui ne sait rien, la conscience que je ne sais rien ? »

XLV

De l’amitié. — Le sage seul peut aimer. — Étéocle et Polynice. — Le collier d’Ériphyle. — Une parole de Platon.

On aime vraisemblablement ce à quoi on s’attache. Or, les hommes s’attachent-ils à ce qu’ils croient mauvais ? Jamais. A ce qui leur semble indifférent ? Jamais non plus. Reste donc qu’ils ne s’attachent qu’à ce qu’ils croient bon, et, puisqu’ils ne s’attachent qu’à cela, qu’ils n’aiment que cela. Celui donc qui se connaît au bien est aussi celui qui s’entend à aimer ; mais quant à celui qui ne peut pas distinguer le bien du mal, et tous les deux de ce qui est indifférent, comment s’entendrait-il à aimer ? Aimer n’appartient donc qu’au Sage.

— Comment cela ! dit-on. Moi, qui ne suis pas un Sage, j’aime pourtant mon enfant. — Je m’étonne, par tous les

  1. Il n’y a que les maux volontaires dont nous soyons moralement responsables ; de là vient que ce sont surtout ceux-là que nous ayons peine à avouer.