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Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/220

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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

seulement que vous les dites. Aussi sont-elles dans votre bouche sans force et sans vie ; aussi prend-on en dégoût les exhortations qu’on vous entend faire, et la misérable vertu que vous vantez à tort et à travers. C’est là ce qui fait que les hommes ordinaires vous battent. Car partout la conviction est forte, partout la conviction est invincible.

Jusqu’au moment donc où tous ces beaux principes seront profondément gravés en vous, et où vous serez devenus assez forts pour n’avoir rien à craindre, je vous conseille d’y regarder à deux fois avant de descendre au milieu des hommes ordinaires ; autrement, tout ce que dans l’école vous aurez écrit en vous s’y fondra jour à jour comme la cire au soleil. Tenez-vous donc bien loin du soleil, tant que vos principes seront de cire.

C’est pour cela encore que les philosophes nous conseillent de quitter notre patrie, parce que les vieilles habitudes nous entraînent, et ne nous permettent pas de prendre d’autres plis ; parce que aussi nous ne savons pas résister à ceux qui disent, en nous rencontrant : « Regarde donc ! Un tel est philosophe, lui qui était ceci et cela ! » C’est ainsi encore que les médecins envoient dans un autre pays, et sous un autre ciel, ceux qui sont malades depuis longtemps ; et ils ont raison ! Vous aussi, inoculez-vous d’autres mœurs, gravez profondément en vous les principes, exercez-vous à les appliquer. En attendant, fuyez vos anciennes habitudes, fuyez les hommes ordinaires, si vous voulez jamais commencer à être quelque chose.

LIX

Justification de la Providence.

Quand tu reproches quelque chose à la Providence, examine bien, et tu verras que ce qui est arrivé était logique. — Oui ; mais ce malhonnête homme a plus que moi ! — De quoi ? — D’argent. — C’est qu’au point de vue de l’argent, il vaut mieux que toi ; car il flatte, il est impudent, il travaille jusque dans la nuit. De quoi donc t’étonnes-tu ? Mais regarde s’il a plus que toi de probité, s’il plus que toi de conscience et d’honneur. Tu trouveras