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Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/224

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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

lui qu’il l’est ; pour moi il est bon. Il m’exerce à la modération, à la douceur. Mon père est-il méchant ? Il l’est pour lui ; pour moi il est bon.

C’est là la baguette de Mercure. « Touche ce que tu voudras, me dit-il, et ce sera de l’or. » Non pas ; mais apporte ce que tu veux et j’en ferai un bien. Apporte la maladie, apporte la mort, apporte l’indigence, apporte les insultes et la condamnation au dernier supplice ; grâce à la baguette de Mercure, tout cela tournera à notre profit.

Toi, au contraire, tu dis : « Prends garde à la maladie ; car elle est un mal. » C’est comme si tu me disais : « Prends garde qu’il te vienne jamais l’idée que trois font quatre, car c’est un mal. » O homme, comment serait-ce un mal ? Si je pense de cette idée ce que j’en dois penser, quel mal y aura-t-il encore là pour moi ? N’y aura-t-il pas là plutôt un bien ?

LXIII

Le philosophe cynique. Ses devoirs et son rôle dans l’humanité.

Un de ses amis, qui paraissait pencher vers l’école cynique, lui demandait ce que doit être le Cynique, et quelle idée il faut s’en faire.

Examinons à loisir, lui répondit-il. Tout ce que je puis te dire maintenant, c’est que, quiconque essaye une aussi grosse affaire sans l’aide de Dieu est le jouet de la colère divine, et qu’il ne se prépare à rien qu’à se couvrir de honte aux yeux de tous. Dans une maison bien administrée, personne n’entre en se disant : « Je veux en être l’administrateur ; » autrement, lorsque le maître l’entend et le voit commander ainsi insolemment, il le fait empoigner et rouer de coups. La même chose arrive dans cette grande cité ; car là aussi il y a un maître qui règle tout. « Toi (dit-il), tu es le soleil : tu peux dans ta révolution faire l’année avec ses saisons ; tu peux faire croître et grossir les fruits ; tu peux soulever les vents ou les apaiser, et échauffer dans une juste mesure le