Aller au contenu

Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
EXTRAITS DE MARC-AURÈLE.

la gloire et l’infamie, la douleur et le plaisir, la richesse et la pauvreté, toutes ces choses ne sont distribuées indifféremment et aux hommes de bien et aux méchants que parce qu’il n’y a en elles rien d’honnête ni rien de honteux : ce ne sont donc ni des biens ni des maux véritables[1].

III

Oh ! que toutes choses s’évanouissent en peu de temps, les corps au sein du monde, leur souvenir au sein des âges ! Que sont tous les objets sensibles, et surtout ceux qui nous séduisent par l’attrait de la volupté, ou nous effrayent par l’image de la douleur ; ceux enfin dont le faste nous arrache des cris d’admiration ? Que tout cela est frivole, digne de mépris ! C’est un dégoût, une corruption, c’est la mort…

IV

La durée de la vie humaine est un point ; la matière un flux perpétuel ; la sensation un phénomène obscur ; la réunion des parties du corps, une masse corruptible ; l’âme, un tourbillon ; le sort, une énigme ; la réputation, une chose sans jugement. Pour le dire en somme, du corps, tout est fleuve qui coule ; de l’âme tout est songe et fumée ; la vie, c’est une guerre, une halte de voyageur ; la renommée posthume, c’est l’oubli. Qu’est-ce donc qui peut nous servir de guide ? Une chose, et une seule, la philosophie. Et la philosophie, c’est de préserver le génie qui est au dedans de nous de toute ignominie, de tout dommage ; c’est de vaincre le plaisir et la douleur, de ne rien faire au hasard[2].

  1. La doctrine de Marc-Aurèle est plus nette et plus logique ici que celle d’Épictète. V. plus haut, p. 62.
  2. Comparer une pièce de vers de l’Anthologie sur un homme qui s’était suicidé : « Infini, ô Homme, était le temps avant que tu vinsses au rivage de l’Aurore ; infini aussi sera le temps après que tu auras disparu dans l’Érèbe. Quelle portion d’existence t’est laissée, si ce n’est un point, ou s’il est quelque chose encore au-dessous d’un point ? Et cette existence que tu as si petite, elle