Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XXXVI
ÉTUDE

laquelle vient aboutir le système d’Épictète, et dont Marc-Aurèle développe les conséquences.

Épictète n’a vu que ce qu’il y a de grand dans cet abandon libre de soi ; Marc-Aurèle y aperçoit ce qu’il y a de triste. Tout nourri de la physique d’Héraclite, il contemple avec une sorte de vertige le « torrent des choses, » sur la marche duquel sa liberté ne peut rien, et où elle ira elle-même, un jour, s’engloutir. Il se rassure parfois en admirant l’ordre universel, le « concert » de tous les êtres, la « parenté » qui règne entre toutes choses. Mais bientôt, — par opposition même à la beauté de ce spectacle où il ne joue pas un rôle vraiment actif et où il est incapable de rien modifier, — le sentiment de son impuissance personnelle lui revient. Il cherche en vain un refuge contre le « tourbillon des choses ». « Du corps, dit-il, tout est fleuve qui coule ; de l’âme, tout est songe et fumée. »[1] Il s’écrierait presque, devançant Pascal : « c’est chose horrible de sentir s’écouler tout ce qu’on possède. » Il se demande avec inquiétude ce qui est au delà de la vie, cette halte de voyageur. » À cette question, Épictète avait déjà répondu : « Que t’inquiètes-tu ? Tu seras ce dont la nature a besoin… Dieu ouvre la porte, et me dit : Viens. — Où cela ? — Vers rien

  1. Pensées, II, xvii.