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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

Et de même dans chaque action[1]. Car de cette manière, si pendant le bain quelque empêchement te survient, tu seras prêt à dire : Je ne voulais pas seulement me baigner, mais aussi conserver mon libre-arbitre conforme à la nature ; et je ne le conserverai pas si je m’irrite contre ce qui arrive.


V

ce qui seul peut nous troubler, ce sont nos opinions.


Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais leurs opinions sur les choses[2]. Par exemple, la mort n’est rien de terrible, car Socrate aussi l’aurait trouvée terrible ; mais notre opinion sur la mort, qui nous la fait regarder comme terrible, voilà ce qui est terrible[3]. Lors donc que nous sommes entravés, ou troublés, ou affligés, n’accusons jamais autrui, mais nous-mêmes, c’est-à-dire nos opinions. Œuvre d’ignorant, que d’accuser les autres de ses

    trouvaient un instant mélangées : riches et pauvres, patriciens et plébéiens se coudoyaient. Les empereurs mêmes ne dédaignaient pas d’aller parfois aux thermes publics.

  1. C’est-à-dire qu’il faut subordonner toutes nos actions particulières à cette volonté générale qui doit dominer et régler notre vie : la volonté d’être libre. — Même théorie dans Kant.
  2. Voir l’Introduction et les Éclaircissements.
  3. Voir les dernières lignes de l’Apologie que Platon met dans la bouche de Socrate : « Ô mes juges, soyez pleins d’espérance dans la mort, et pensez seulement à cette vérité : c’est qu’il n’y a point de mal pour l’homme de bien, ni pendant cette vie, ni après sa mort, et que les dieux ne l’abandonnent jamais ; car ce qui m’arrive aujourd’hui n’est point l’effet du hasard ; mais il m’est évident que mourir dès à présent et être délivré des soins de la vie, sont pour moi ce qu’il y a de plus heureux, et je n’en veux nullement aux juges qui m’ont condamné ni à mes accusateurs. Cependant telle n’a point été leur intention en me condamnant et en m’accusant ; au contraire, ils ont cru me faire du mal, et en cela j’aurais bien à me plaindre d’eux… Mais il est temps de nous quitter, moi pour mourir, vous pour vivre. Qui de nous a le meilleur partage ? Nul ne le sait, excepté Dieu. »