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Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/94

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MANUEL D’ÉPICTÈTE.


Ainsi faisaient et Diogène[1] et Héraclite[2] et ceux qui leur ressemblent : ils étaient divins et à bon droit passaient pour tels.


XVI

on doit manifester la pitié sans l’éprouver.


Lorsque tu vois quelqu’un gémissant parce qu’il est dans le deuil, ou parce que son fils part en voyage, ou parce que lui-même a perdu ses biens, prends garde que cette représentation ne t’emporte avec elle, et que tu ne te figures cet homme en butte à des maux placés en dehors de sa volonté ; mais aussitôt sois prêt à dire : — « Ce qui accable cet homme, ce ne sont pas les événements ; car un autre n’en est point accablé ; ce sont ses opinions sur les événements[3] ». — Pourtant n’hésite pas à condescendre, en paroles seulement, à sa douleur ; et même, au besoin, gémis avec lui : mais garde-toi de gémir aussi intérieurement[4].

  1. Diogène de Sinope, avec son tonneau pour maison, des graines pour nourriture, de l’eau pour boisson, — Diogène qui, esclave, sut conserver la liberté de son âme, et en présence d’Alexandre sut être sincère, resta toujours pour les stoïciens et les cyniques le type du vrai sage. Épictète cite à tous moments son nom et son exemple.
  2. C’est à Héraclite d’Éphèse que les stoïciens avaient emprunté en partie leur conception du monde.
  3. « Car un autre n’en est point accablé. » — Réflexion qui semble étrange et qui est pourtant conforme à l’esprit du stoïcisme. D’après les stoïciens en effet, un mal, pour être réel, doit frapper non l’imagination, mais la raison ; or la raison est universelle : ce qui semble un mal à la raison d’un individu doit donc sembler tel à la raison de tous les autres individus. Supposons, au contraire, qu’un événement regardé comme un mal arrive à un individu, et que cet individu seul en soit accablé : ce prétendu mal n’atteint pas la raison, donc ce n’est pas vraiment un mal. — Rapprocher de cette pensée le ch. xxvi ; voir les Éclaircissements.
  4. Singulière pitié, qui ressemble trop à une comédie. — La pitié, d’après les stoïciens, est un état sensitif et irrationnel de