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Page:Mercure de France - 1900 - Tome 35.djvu/53

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MERCURE DE FRANCE—VII-1900

lument en étoiles. Du milieu de leur sabbat elles lancent des mots humains, elles ont des interjections aiguës ainsi qu’en ont les enfants qui s’amusent à l’excès, ou s’égosillent dans une colère puérile. Ce sont des petits avortons nés d’amours inavouables, des petits fœtus plongés au bocal universel et qui essayent de briser sa transparence de leurs petites mains désespérées.

Et les voilà qui se pressent les uns sur les autres, les pauvres petits monstres, pour contempler la langue rouge que leur tire l’homme du bout de son fil maudit. C’est la langue de feu de la chimère ! Elles ont fasciné, charmeuses petites sirènes, et, à son tour, il les fascine. La gaule se relève, Le fil fouette l’espace, et on perçoit un atroce cri d’oiseau plumé vif. La grenouille, trop curieuse, est saisie par le double hameçon qui, de loin, a l’air d’une ancre de salut. Elle agite ses petites pattes de derrière comme des jambes de fille qu’on viole…

Le chasseur de grenouilles les cueille une à une, tranquillement.

Il semble les faucher du bout de sa gaule. Il les prendrait toutes si c’était possible de prendre toutes les grenouilles d’une mare où chaque goutte de fange en recèle une prête à naître, et chaque goutte d’eau pure en porte une adulte. Mais la nuit vient.

La lune regarde, reine qui se moque pas mal de ce qui se passe chez ses sujets. Que les grenouilles chantent ou meurent, ça ne l’empêche pas d’être le seul œil de grenouille qui a tout vu depuis le commencement du monde.

Toniot remplit son sac. Un long sac de toile qu’il a taillé dans la dernière chemise de sa mère. Il a les ongles rouges de sang. La pêche terminée, il rentre chez lui, la gaule sur l’épaule, d’où pend le