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ANALYSE RAISONNÉE


termes, il donne une juste définition du mot de liberté : il en réveille l'idée la plus conforme à la nature de la chose ; et comme cette liberté est inséparable de Tordre civil, de l’harmonie tant requise dans la société, et, pour tout dire, de la subordination aux lois, notre auteur ne la cherche point dans ces gouvernements que des préjugés font appeler libres , parce que le peuple y paroît faire ce qu’il veut, confondant ainsi les idées de licence et de liberté ; mais il voit le triomphe de la liberté dans ces gouvernements où les différents pouvoirs sont distribués de façon que la force de l’un tient la force de l'autre en tel équilibre, qu'aucun d’eux n’emporte la balance.

Il ne faudroit que ces justes réflexions de notre auteur sur cette distribution des différents pouvoirs pour prouver que les affaires politiques bien approfondies se réduisent, comme les autres sciences, à des combinaisons et, pour ainsi dire, à des calculs très-exacts. Ainsi, autant nous avons lieu de nous féliciter des progrès de la raison humaine de nos jours, qui a fait que l’autorité ne sauroit craindre les talents, autant avons-nous raison de plaindre l’excès d’idiotisme de quelques-uns de nos aïeux, ou plutôt le comble d’orgueil de leurs petites âmes, qui se croyoient dégradées en s’asservissant aux règles, et, dédaignant d’acquérir des connoissances, avoient la hardiesse de se croire en état de pouvoir conduire tout avec le seul bon sens, qui, dépourvu de principes, ne leur offroit que la confiance de n’avoir jamais des contradicteurs, suite de l’abus de l'autorité. De là ces torrents d’erreurs, ces lois gauches, absurdes, contradictoires, si mal assorties, et, s’il est permis de lâcher le mot, plus insensées que les colonnes où elles furent affichées ; de là enfin ces établissements qui naquirent, vieillirent, moururent presque dans le même instant. On sentira mieux ceci en réunissant des traits parsemés dans l’ouvrage de notre auteur sur la conduite aveugle du despotisme oriental. « Le despote, dit-il, n’a point à délibérer ni à raisonner ; il n’a qu’à vouloir [1]. Dans ce despotisme il est

  1. Liv. IV, chap. III.