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CHAPITRE V.


DES LOIS RELATIVES A LA NATURE
DE L’ÉTAT DESPOTIQUE [1].


Il résulte de la nature du pouvoir despotique que l'homme seul qui l’exerce le fasse de même exercer par un seul. Un homme à qui ses cinq sens disent sans cesse qu’il est tout, et que les autres ne sont rien, est naturellement paresseux, ignorant, voluptueux. Il abandonne donc les affaires. Mais, s’il les confioit à plusieurs, il y auroit des disputes entre eux ; on feroit des brigues pour être le premier esclave ; le prince seroit obligé de rentrer dans l’administration. Il est donc plus simple qu’il l’abandonne à un vizir [2] qui aura d’abord la même puissance que lui. L’établissement d’un vizir est, dans cet État, une loi fondamentale.

On dit qu’un pape, à son élection, pénétré de son incapacité, fit d’abord des difficultés infinies. Il accepta enfin, et livra à son neveu toutes les affaires. Il étoit dans l’admiration, et disoit : « Je n’aurois jamais cru que cela eût été si aisé. » Il en est de même des princes d’Orient.

  1. Pour Montesquieu le despotisme c’est l’Orient, et plus particulièrement la Turquie et la Perse, la Turquie étudiée dans Ricaut, la Perse étudiée dans Chardin et Tavernier.
  2. Les rois d’Orient ont toujours des vizirs, dit M. Chardin. (M.)