Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
184
DE L'ESPRIT DES LOIS.


prétexte de rétributions ou d’appointements pour les emplois qu’ils exercent ; enfin quand ils rendent le peuple tributaire, et se partagent les impôts qu’ils lèvent sur lui. Ce dernier cas est rare ; une aristocratie, en cas pareil, est le plus dur de tous les gouvernements.

Pendant que Rome inclina vers l’aristocratie, elle évita très-bien ces inconvénients. Les magistrats ne tiroient jamais d’appointements de leur magistrature. Les principaux de la République furent taxés comme les autres ; ils le furent même plus ; et quelquefois ils le furent seuls. Enfin, bien loin de se partager les revenus de l’État, tout ce qu’ils purent tirer du trésor public, tout ce que la fortune leur envoya de richesses, ils le distribuèrent au peuple [1] pour se faire pardonner leurs honneurs [2].

C’est une maxime fondamentale, qu’autant que les distributions faites au peuple ont de pernicieux effets dans la démocratie, autant en ont-elles de bons dans le gouvernement aristocratique. Les premières font perdre l'esprit de citoyen, les autres y ramènent.

Si l'on ne distribue point les revenus au peuple, il faut lui faire voir qu’ils sont bien administrés : les lui montrer, c’est, en quelque manière, l’en faire jouir. Cette chaîne d’or que l’on tendoit à Venise, les richesses que l’on portoit à Rome dans les triomphes, les trésors que l’on gardoit dans le temple de Saturne, étoient véritablement les richesses du peuple.

Il est surtout essentiel, dans l’aristocratie, que les

  1. En tout l'argent est funeste quand il n’est pas le prix du travail. (HELVÉTIUS.)
  2. Voyez dans Strabon, liv. XIV, comment les Rhodiens se conduisirent à cet égard. (M.)